Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/63

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mais j’en étais presque le demi-frère. Tommy se juchait sur les genoux de maman, mais je me tenais à côté d’elle. La main qui caressait bébé, passait dans ma noire chevelure. Sans mère, je n’étais pas sans amie. Et lorsque mistress Auld, sincèrement pieuse, lisait les Saintes Écritures ; lorsqu’elle chantait des hymnes dans le recueillement de sa chambre, je l’écoutais, cœur libre et joyeux.

D’autres pensées occupaient son mari. M. Hugues Auld, constructeur de vaisseaux, homme du monde, intègre sans aucun doute, était possédé du désir général à Baltimore… et ailleurs : Avancer !

Distrait, indifférent, son pâle sourire, lorsqu’il m’en adressait un, n’apparaissait qu’à l’état de reflet ; je le devais à l’influence de mistress Sophie. Le maître me laissait, du reste, sous l’exclusive autorité de celle-ci.

À l’abri des cruautés de la plantation, respirant cette tiède atmosphère, mon âme devint sensitive. Un froncement de sourcils de ma maîtresse, me causait plus vive souffrance que les plus dures torgnioles de tante Katy.

Je marchais sur des tapis épais ; au lieu du sac à maïs, j’avais un lit bien fourni de couvertures ; des vêtements propres couvraient mon corps ; je mangeais à ma faim.

Pour un temps, tout fut à souhait. Je dis pour un temps. Le poison qui distille du pouvoir arbitraire, ne tarda pas à s’infiltrer dans le cœur de ma maîtresse. Elle m’avait, au début, regardé un peu comme son enfant ; lorsqu’elle en vint à voir en moi sa propriété, nos relations s’altérèrent. Il fallut des années toutefois,