Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/92

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Nathanaël Turner[1], nous te logerons dans le corps, autant de balles qu’on en a mis dans le sien !

Le nuage s’épaississait.

Henny, l’estropiée dont j’ai parlé, semblait par ses misères exaspérer la cruauté du maître. Liée dès l’aube à un poteau, les bras levés afin qu’ils ne pussent garantir le pauvre corps, elle recevait sanglées sur sanglées, qu’accompagnait cette citation de l’Écriture (blasphème à glacer le sang) : « Le serviteur qui, sachant la volonté du maître, ne l’a pas faite, sera battu de plus de coups ! » — Henny restait là, trois, quatre, cinq heures. Le maître l’y retrouvait, lorsque, après sa tournée dans les champs, il revenait dîner. Brandissant son fouet de plus belle, il l’en déchirait sans parvenir à la tuer ; ce que voyant, las de nourrir cet objet inutile, il essaya de la passer à mistress Sarah Clive, une de ses sœurs. Mistress Clive la lui renvoya, comme la lui avait rendue maître Hugues Auld. Il y en avait trop. Maître Thomas, poussé à bout, chassa la créature, lui refusant abri, et laissant au dénûment le soin d’en finir.


Entre maître Thomas et moi, la répulsion s’accentuait. Ma résistance intime, l’audace que j’avais de me défendre contre ses méchancetés, l’amenèrent à cette conclusion que, gâté par mon séjour à Baltimore, je n’étais plus propre à rien, sauf au mal. — Un de mes crimes consistait en ceci : je laissais, plus souvent qu’il n’eût fallu, galoper le cheval favori du Captain vers la

  1. Abolitionniste et martyr noir.