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II.

AU TERRAPIN.


Les trois amis montèrent en voiture et prirent la route de la ville. Chemin faisant, ils devisèrent de la séance et discutèrent vivement la beauté ou l’élégance des jeunes pensionnaires.

La promenade ayant été un peu longue, Duport déclara qu’il se sentait l’estomac glacé et fit arrêter la voiture devant le restaurant Terrapin. Constatons en passant combien certaines gens prennent vite froid à l’estomac et sont forcés de réchauffer souvent les ressorts de leur appareil digestif pour le tenir en bon ordre.

Le restaurant était rempli de monde. Six heures allaient sonner, et les gens entraient prendre le coup d’appétit.

Le coup d’appétit ! terme élastique qui comprend depuis le petit verre de liqueur que les anciens savouraient jusqu’au grand verre d’eau-de-vie que les familiers des hôtels enveloppent à moitié d’une main discrète, en le vidant.

Trois jeunes gens étaient appuyés sur le comptoir, près de l’entrée, et débattaient les affaires du pays. L’un était rouge, l’autre bleu, le troisième écoutait et, tout en écoutant, buvait double ; il arrosait silencieusement les arguments de ses amis, et lorsqu’on lui demandait son sentiment sur un point vivement contesté, sa voix se perdait au fond de son verre. Les deux adversaires péroraient chacun leur tour ; aussitôt que l’un lâchait la parole, l’autre l’attrapait et il la gardait jusqu’à ce que la soif revînt la lui ôter.

À l’autre bout du comptoir, il y avait un groupe de cinq ou six buveurs. À première vue, ils n’avaient pas l’air d’être là chez eux. On les aurait pris pour de bons bourgeois ; mais peu à peu le ton haussait et les gestes se déréglaient. Tous ils