Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/256

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d’abord, dites-moi quels défauts vous voulez que votre femme apporte dans le ménage ? Vous allez répondre que vous entendez qu’elle n’en apporte aucun, c’est-à-dire toute différente de vous qui en avez votre bonne part. Tous les hommes, même les plus intelligents, rêvent des femmes parfaites. Mais ne savez-vous donc pas qu’il n’y en a point et faut-il l’épreuve du mariage pour vous l’apprendre ? Entre bien des qualités, il vous faut donc choisir celles que vous estimez le plus ; entre bien des défauts, il faut vous résigner à ceux que vous redoutez le moins. Quant à moi, mon choix est fait. Je veux que ma femme soit riche ; peu importe qu’elle ne soit point jolie. Chacun sa passion dominante ; la vôtre est la sentimentalité peut-être, la mienne est l’ambition. Les gens qui font des mariages d’amour ne sont pas meilleurs que ceux qui font des mariages d’intérêt ; chacun cherche le bonheur où il croit le trouver. Si la jeune fille que j’épouserai m’apporte en dot les rentes qu’après vingt ans de travail je n’aurais pas encore, elle me rendra bien autrement heureux que si elle offrait chaque jour à ma vue la plus jolie figure du monde. Sa fortune durera plus longtemps que n’aurait duré sa beauté…

Martel seul écoutait. Les autres se saluaient d’un bout de la table à l’autre, et buvaient des santés particulières en échangeant des signaux de gaîté.

— Vous êtes tous plus ou moins gris, reprit le docteur, dans un quart d’heure, vous serez sous la table. Bonne nuit !