Page:Fabre - Julien Savignac, 1888.djvu/7

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à leurs mères, et la ville n’eut qu’une voix pour me maudire. Cette malédiction fut le signal d’une défection générale de la part de mes condisciples ; je les vis s’éloigner de moi l’un après l’autre, et bientôt je me trouvai seul. Plût au ciel qu’on m’eût laissé dans cet isolement ! j’y eusse peut-être fait des réflexions capables d’étouffer mes mauvais instincts. Malheureusement, il me vint à cette époque un ami.

« Mon oncle, l’abbé François Savignac, qui aimait à fréquenter les marchés de Lodève, dînait tous les mercredis à la maison. Un matin du mois d’avril 1840, il emmena avec lui d’Octon, paroisse qu’il desservait à l’entrée de la vallée de Salagou, un grand jeune homme de dix-sept ans, maigre et blond, qu’il fit asseoir à table à côté de moi.

— « Ma belle-sœur, dit-il, s’adressant à ma mère, voici le garçon dont je vous ai parlé, c’est le fils du maire de ma commune. Adrien Sauvageol prendra ses repas ici, comme il en a été convenu, et ira au collége avec Julien. M. le Principal est averti. »

« Puis se tournant vers moi :

— « N’est-ce pas, Julien, que tu ne seras pas fâché d’avoir un camarade ? »

« Je crus mon isolement deviné.

_ « Certainement, mon oncle, balbutiai-je, certainement… »

« Le repas fini, je poussai Adrien du coude pour le presser de se lever de table, et nous sortîmes.

« En enfant naïf, Sauvageol crut que je le conduisais au collége. Il est certain que nous allâmes jusqu’à la porte, mais nous n’entrâmes point. À peine eûmes-nous vu les externes qui, sur le coup de deux heures, venaient par groupes bruyants se suspendre à la sonnette du portier, que, tournant derrière Saint-Fulcrand, je menai mon nouveau compagnon au Parc.

« Le Parc est l’ancien jardin des évêques de Lodève ; il a été transformé depuis la Révolution, en promenade publique. Situé derrière la cathédrale, dans un quartier isolé, le Parc est le rendez-vous forcé de tous les collégiens en rupture de ban. La surveillance étant exercée non-seulement par la famille, mais à peu près par tout le monde, l’école buissonnière devient fort difficile à pratiquer en province. Il faut infiniment de ruse aux enfants résolus à voler à leurs maîtres quelques heures de bonne et franche liberté ; il leur est surtout indispensable de trouver un endroit éloigné du centre de la ville pour ne pas risquer d’être découverts à toute heure, et pourtant assez voisin du collége pour le gagner en