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Page:Fabre - La Plante (1876).djvu/224

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LA PLANTE

— Votre artiste fait ses poulardes avec du charbon, de l’eau, de l’air, et rien de plus ?

— Oui.

Le nez du cuisinier tournait au bleu.

— Avec de l’eau, du charbon et de l’air, il ferait cette brochette de tourdes ?

— Oui, oui !

Du bleu, le nez passait au violet.

— Avec du charbon, de l’air et de l’eau, il ferait ce pâté de foie gras, cette étuvée de pigeons ?

— Oui, cent mille fois oui !

Le nez montait à sa dernière phase, il devenait cramoisi. La bombe éclata. Le cuisinier se crut devant un maniaque qui se moquait de lui. Il prit mon ami par les épaules et le mit à la porte en lui jetant aux jambes les trois fioles à poulardes. Le nez irascible redescendit par degrés du cramoisi au violet, du violet au bleu, du bleu au ton normal, mais la démonstration de la poularde au charbon, à l’air et à l’eau, resta inachevée. Je vais la reprendre pour vous, mon cher enfant, afin de préciser certaines notions peu familières à votre âge.

La chimie ramène toute substance terrestre soit d’origine organique, soit d’origine minérale, à une soixantaine de substances primordiales qu’elle qualifie d’éléments ou corps simples, indiquant par là que les moyens de décomposition en son usage n’ont sur elles aucun effet. Si par une série d’opérations descendant du complexe au simple, elle retire du soufre, ou du phosphore, ou du charbon par exemple, du suc d’une plante, de la chair d’un animal, d’un minerai extrait du sein de la terre, la chimie s’arrête à cet échelon de simplification, convaincue, par une longue expérience, que l’énergie de ses acides, la violence de ses fourneaux et toutes les forces lentes ou soudaines, calmes ou brutales, qu’elle sait appeler à son aide, n’ont plus désormais de prise sur la substance qu’elle vient d’obtenir. Elle reconnaît son impuissance à poursuivre la décomposition plus loin en appelant