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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

frottant l’un contre l’autre, comme s’effacent les inégalités rugueuses des meules de moulin. Si les meules alors ne font plus de farine à moins d’être repiquées, les dents usées de l’herbivore ne doivent pas davantage pouvoir triturer.

Paul. — C’est prévu, mon petit ami, admirablement prévu. Chaque chose en ce monde est disposée avec un art étonnant pour atteindre le but proposé ; une science à qui rien n’échappe préside au moindre détail ; tout, jusqu’à la mâchoire d’un âne, nous l’affirme hautement. Écoutez et jugez vous-mêmes.

On reconnaît dans la composition d’une dent deux substances différentes : l’une très dure, ayant quelque chose de la nature du verre et nommée émail ; l’autre plus facile à user, mais très résistante aux efforts qui tendent à la casser, c’est l’ivoire. Ces deux substances sont associées de manières différentes suivant le régime de l’animal. Pour le cheval, le mouton, le bœuf, l’âne et beaucoup d’autres herbivores, la matière moins dure, l’ivoire, constitue la masse principale de la dent, tandis que la matière plus dure, l’émail, plonge en lames sinueuses dans l’épaisseur de la première et fait un peu saillie au dehors sous forme de replis qui varient de configuration d’une espèce animale à l’autre. C’est donc l’émail, matière aussi dure que le caillou, qui compose les replis sinueux des dents de l’herbivore. Par l’effet du frottement d’une mâchoire contre l’autre, l’ivoire s’use plus vite que l’émail, de sorte que les lames de celui-ci, engagées dans toute l’épaisseur de la dent, sont peu à peu mises à découvert et remettent en l’état primitif les replis usés de la surface. Vous le voyez : dans le moulin à manger de l’âne, la meule se repique d’elle-même à mesure qu’il en est besoin ; la machine se répare tout en travaillant.

Jules. — Ce que vous nous dites là est admirable, mon oncle ; je n’aurais jamais soupçonné une telle structure nécessaire pour brouter un chardon.

Louis. — Et moi qui, l’autre jour, ai dédaigneusement repoussé du pied une mâchoire qui s’est trouvée sur mon chemin. Comme je l’aurais volontiers regardée de près si j’avais su ces choses.

Paul. — L’ignorance est toujours ainsi, mon enfant ; elle repousse, elle dédaigne toute chose ; la science s’intéresse à