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Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/214

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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

puissance de leur haleine pestilentielle. Incapable de résister à cette attraction magique, l’oiseau se précipite de lui-même au fond de l’horrible gosier.

Paul. — Il y a un peu de vrai dans votre observation, mais il y a surtout du faux, fruit de l’imagination populaire, qui volontiers met de la sorcellerie dans les mœurs du serpent. D’abord l’haleine d’une couleuvre et d’un serpent quelconque n’a rien de pestilentiel, rien de magiquement attractif, rien de surnaturel. Vous avez tous ici trop de bon sens pour qu’il me soit nécessaire d’insister sur ces contes ridicules. Reste la prétendue fascination exercée sur l’oiseau par le regard dur et fixe du reptile. Tout ce que l’on raconte de merveilleux à cet égard, en réalité se réduit à peu de chose.

Quelques-unes de nos couleuvres sont friandes d’œufs d’oiseaux. Elles grimpent sur les arbres, recherchent les nids et en mangent les œufs quand les mères ne sont pas là pour les défendre. Il est arrivé à plus d’un dénicheur, qui croyait saisir la couvée d’un geai ou d’un merle, de rencontrer sous la main, au fond du nid, le corps froid et enroulé du reptile. J’en ai connu qui, saisis d’horreur à ce contact inattendu, sont tombés à la renverse du haut de l’arbre et se sont cassé les reins. Avis aux autres. Les grosses couleuvres ne se bornent pas aux œufs, elles dévorent aussi les petits oiseaux, même ceux qui sont hors du nid, quand elles peuvent les saisir, ce qui heureusement n’est pas facile. Supposons un oisillon novice surpris à l’improviste par une couleuvre dans le fourré d’un buisson. Le pauvret voit subitement devant lui une gueule affreusement ouverte et des yeux étincelants qui le regardent avec une féroce fixité. Effaré de terreur, l’oiseau perd la tête et ne sait plus fuir ; il bat inutilement des ailes, il crie plaintivement, enfin il se laisse choir de la branche, paralysé, mourant. Le monstre qui le guette le reçoit dans sa gueule.

Le pouvoir fascinateur dont on gratifie les serpents n’est donc en réalité que la faculté d’inspirer à l’oiseau une terreur soudaine, qui paralyse ses moyens de fuite. Nous-mêmes, quand tout à coup se présente un effrayant danger, conservons-nous toujours la présence d’esprit nécessaire pour y faire face ? manque-t-il de gens qui s’affolent, ne savent plus ce qu’ils font et aggravent la situation par des actes déraisonnables ? Tout le merveilleux de la fascination se réduit