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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

Il y avait autrefois un roi, très renommé dans l’histoire, Mithridate, qui, se sentant entouré d’ennemis capables de l’empoisonner un jour ou l’autre, s’était, pour conjurer le péril, graduellement habitué aux drogues les plus malfaisantes. En ménageant la dose, peu à peu plus forte, il avait fini, dit-on, par devenir insensible au poison. Le hérisson est le Mithridate des bêtes ; mais de combien il excelle sur le roi soupçonneux ! Sans apprentissage aucun, d’emblée, il brave impunément le poison corrosif de la cantharide et l’atroce venin de la vipère.

J’aime à croire que le hérisson n’a pas reçu ces dons exceptionnels pour les laisser sans emploi. Il doit se complaire dans les lieux hantés par la vipère ; en ses rondes nocturnes dans les halliers, il doit surprendre le reptile au gîte et lui broyer la tête de ses dents pointues. Que de services ne peut-il pas rendre dans les localités infestées de cette dangereuse engeance ! Et cependant l’homme s’acharne sur le hérisson ; il le voue à l’exécration ; il le traite d’animal immonde, bon tout au plus à exercer la furie des chiens, qui ne peuvent mordre sur son dos épineux ; il invente exprès pour lui le supplice de l’immersion dans l’eau froide, pour le faire dérouler ; et si la bête persiste dans son attitude de défense passive, dans son enroulement en boule, il l’excite d’un bâton pointu, l’aiguillonne, l’éventre.

Jules. — Ce n’est pas nous, oncle Paul, qui tracasserons jamais les hérissons ? Nous avons trop peur des vipères pour nous priver de ce vaillant défenseur.

Émile. — Les piquants du hérisson, que sont-ils ?

Paul. — Des poils, pas autre chose, mais très gros, raides et pointus comme des aiguilles. Mélangés avec d’autres poils fins, souples et soyeux, faisant office de fourrure, ils recouvrent toute la partie supérieure du corps. Quant à la partie inférieure, elle n’a que des poils soyeux, sinon l’animal se blesserait lui-même en s’enroulant. Lorsque le hérisson, très circonspect du reste, se sent en danger, il recourbe la tête sous le ventre, rapproche les pattes et se roule en une boule qui de toutes parts présente à l’ennemi une armure d’épines. Le renard sait beaucoup de ruses, disaient les anciens ; le hérisson n’en sait qu’une, mais toujours efficace. Quel est l’audacieux, en effet, qui oserait happer l’animal dans sa posture de défense ? Le chien s’y refuse ; après quelques malencontreux essais, qui