peut-elle mordre un cheval et lui happer le cuir, épais d’un doigt et plus ? — La musaraigne, dit-on encore, est venimeuse, même pour l’homme. Je vous ai, dans le temps, mes amis, raconté l’histoire de la vipère ; vous savez quelles sont ses armes : deux longues dents creuses qui introduisent dans la blessure une goutte de venin. Eh bien, je vous l’affirme en toute certitude, la musaraigne n’a rien de l’arme de la vipère ; elle n’a pas ses crochets, elle n’a pas son réservoir à venin, elle est complètement inoffensive pour l’homme et pour le cheval. Les insectes seuls ont à redouter ses fines dents, non qu’elles soient empoisonnées d’une façon quelconque, mais parce qu’elles les croquent très bien.
Je crois entrevoir la cause qui a valu à la musaraigne la réputation d’être venimeuse. L’élégante créature se parfume et sent assez fortement le musc. Le chat, la prenant pour une souris, lui fait parfois la chasse ; mais, rebuté par son odeur, il ne la mange jamais. Les premiers qui ont constaté ce fait se sont dit sans plus ample informé : « Puisque le chat n’ose la manger, la musaraigne est venimeuse. » Depuis lors, dans la campagne, l’idée fausse se transmet sans que nul songe à y regarder de plus près ; et la pauvre musette, auxiliaire des plus irréprochables, périt victime de la stupidité de l’homme dont elle garde le jardin.
XI
UN EXPLOIT DE JEAN LE BORGNE
Ce jour-là, Jean le Borgne avait pris un hibou dans son grenier. Il venait de clouer l’oiseau vivant sur le portail de sa maison, comme un bandit de la pire espèce qu’il convenait d’exposer à la risée de tous et de laisser sécher sur place pour servir d’épouvantail. Jean était tout fier de son exploit ; il riait au cliquetis de bec, au désespéré roulement d’yeux de la bête crucifiée ; les contorsions grimaçantes de l’oiseau, les soubresauts des ailes percées de gros clous, les accès de rage impuissante des serres crispées, le mettaient en belle humeur.