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que l’antre du Cerceris avait encore de beaux secrets à nous apprendre, que la chasse du Sphex nous ménageait de nouvelles surprises. Mais le temps manquait ; j’étais seul, abandonné, luttant contre la mauvaise fortune. Avant de philosopher fallait-il vivre. Dites-leur cela et ils m’excuseront.

D’autres m’ont reproché mon langage, qui n’a pas la solennité, disons mieux, la sécheresse académique. Ils craignent qu’une page qui se lit sans fatigue ne soit pas toujours l’expression de la vérité. Si je les en croyais, on n’est profond qu’à la condition d’être obscur. Venez ici, tous tant que vous êtes, vous les porte-aiguillon et vous les cuirassés d’élytres, prenez ma défense et témoignez en ma faveur. Dites en quelle intimité je vis avec vous, avec quelle patience je vous observe, avec quel scrupule j’enregistre vos actes. Votre témoignage est unanime : oui, mes pages non hérissées de formules creuses, de savantasses élucubrations, sont l’exact narré des faits observés, rien de plus, rien de moins ; et qui voudra vous interroger à son tour obtiendra mêmes réponses.

Et puis, mes chers insectes, si vous ne pouvez convaincre ces braves gens parce que vous n’avez pas le poids de l’ennuyeux, je leur dirai à mon tour « Vous éventrez la bête et moi je l’étudie vivante ; vous en faites un objet d’horreur et de pitié, et moi je la fais aimer ; vous travaillez dans un atelier de torture et de dépècement, j’observe sous le ciel bleu, au chant des cigales ; vous soumettez aux réactifs la cellule et le protoplasme, j’étudie l’instinct dans ses manifestations les plus élevées ; vous scrutez la mort, je scrute la vie. Et pourquoi ne compléterais-je pas ma pensée : les san-