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derai bien de le faire, car voici, à ma connaissance, un résultat contradictoire, très significatif.

Parmi les richesses de mon laboratoire de l’harmas, je mets au premier rang une fourmilière de Polyergus rufescens, la célèbre Fourmi rousse, l’Amazone, qui fait la chasse aux esclaves. Inhabile à élever sa famille, incapable de rechercher sa nourriture, de la prendre même quand elle est à sa portée, il lui faut des serviteurs qui lui donnent la becquée et prennent soin du ménage. Les Fourmis rousses sont des voleuses d’enfants, destinés au service de la communauté. Elles pillent les fourmilières voisines, d’espèce différente ; elles en emportent chez elles les nymphes qui, bientôt écloses, deviennent, dans la maison étrangère, des domestiques zélés.

Quand arrivent les chaleurs de juin et de juillet, je vois fréquemment les Amazones sortir de leur caserne dans l’après-midi, et partir en expédition. La colonne mesure de cinq à six mètres. Si sur le trajet rien ne se montre qui mérite attention, les rangs sont assez bien conservés ; mais aux premiers indices d’une fourmilière, la tête fait halte et se déploie en une cohue tourbillonnante, que grossissent les autres arrivant à grands pas. Des éclaireurs se détachent, l’erreur est reconnue, et l’on se remet en marche. La cohorte traverse les allées du jardin, disparaît dans les gazons, reparaît plus loin, s’engage dans les amas de feuilles mortes, se remet à découvert, toujours cherchant à l’aventure. Un nid de Fourmis noires est enfin trouvé. À la hâte, les Fourmis rousses descendent dans les dortoirs où reposent les nymphes, et bientôt remontent avec leur butin. C’est alors, aux portes de la cité souterraine, une