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Voilà certes un hyménoptère totalement privé de cette sensibilité directrice dont jouissent d’autres hyménoptères. Il a pour lui la mémoire des lieux et plus rien. Un écart de deux à trois de nos pas suffit pour lui faire perdre la voie et l’empêcher de revenir parmi les siens ; tandis que des kilomètres, à travers des parages inconnus, ne mettent pas en défaut le Chalicodome. Je m’étonnais tantôt que l’homme fût privé d’un sens merveilleux, apanage de quelques animaux. La distance énorme entre les deux termes comparés pouvait fournir matière à discussion. Maintenant cette distance n’existe plus il s’agit de deux insectes très voisins, de deux hyménoptères. Pourquoi, s’ils sortent du même moule, l’un a-t-il un sens que l’autre n’a pas, un sens de plus, caractère bien autrement dominateur que les détails de l’organisation ? J’attendrai que les transformistes veuillent bien m’en donner raison valable.

Cette mémoire des lieux, dont je viens de reconnaître la ténacité et la fidélité, à quel point est-elle souple pour retenir l’impression ? Faut-il à l’Amazone des voyages réitérés pour savoir sa géographie ; ou bien une seule expédition lui suffit-elle ? Du premier coup, la ligne suivie et les lieux visités sont-ils gravés dans le souvenir ? La Fourmi rousse ne se prête pas aux épreuves qui donneraient la réponse : l’expérimentateur ne peut décider si la voie où la colonne expéditionnaire s’engage est parcourue pour la première fois ; et puis il n’est pas en son pouvoir de faire adopter par la légion tel ou tel autre chemin. Quand elles sortent pour piller les fourmilières, les Amazones se dirigent à leur guise, et leur défilé ne souffre pas notre interven-