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pèse le soleil, et ne peut empêcher un misérable asticot de goûter avant lui ses cerises, un odieux pou de lui détruire ses vignobles ! Le titan est vaincu par le pygmée.

Voici maintenant, dans ce même monde des insectes, un auxiliaire de mérite supérieur, un ennemi sans pareil de notre calamiteux ennemi le ver gris. Pouvons-nous quelque chose pour en peupler à volonté nos champs et nos jardins ? Nullement, car la première condition pour multiplier l’Ammophile serait de multiplier le ver gris, unique nourriture de sa famille de larves. Je ne parle pas des difficultés insurmontables que présenterait semblable éducation. Ce n’est pas ici l’Abeille, fidèle à sa ruche à cause de ses mœurs sociales ; c’est encore moins le stupide Ver à soie, campé sur la feuille de mûrier, et son lourd papillon, qui un instant bat des ailes, s’accouple, pond et meurt ; c’est un insecte aux capricieuses pérégrinations, au vol prompt, aux allures indépendantes.

La première condition d’ailleurs coupe court à tout espoir. Voulons-nous avoir des Ammophiles secourables ? Résignons-nous alors aux vers gris. Nous tournons dans un cercle vicieux : pour provoquer le bien, il nous faut appeler le mal. La horde ennemie fait apparaître dans nos champs la troupe auxiliaire ; mais celle-ci ne vient pas sans celle-là, et les deux se balancent en nombre. Si le ver gris abonde, l’Ammophile trouve pour ses larves copieuse proie, et sa race prospère ; s’il se fait rare, la descendance de l’Ammophile s’amoindrit, disparaît. Semblable rythme de prospérité et de décadence est l’immuable loi qui règle les proportions entre dévorants et dévorés.