Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/114

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esclavage elle-même ; et en même temps nécessite cet esclavage et n’en veut pas entendre parler ; le produit en fait et le proscrit en paroles. La civilisation théorique, la civilisation scientifique, la « civilisation alexandrine » est arrivée peu à peu à penser, à concevoir et à proclamer l’égalité entre tous les hommes. Fort bien, si l’on veut ; mais en même temps, pour ses mines, pour son charbon déterre, pour ses chemins de fer, pour ses bâtiments, pour ses usines, pour sa division du travail résultat de tout cela, elle a besoin d’un peuple qui — les socialistes l’ont très bien démontré et dans ce raisonnement-ci ils ont raison — est tout autant un peuple d’esclaves et à certains égards plus encore, que ne l’était la foule servile d’Athènes et de Rome. Et voilà une antinomie, de plus un danger, danger que la civilisation alexandrine, c’est-à-dire la nôtre, ne soit tuée un jour, prochain peut-être, par le double effet de ses nécessités pratiques et de ses prédications théoriques et déclamatoires, les unes et les autres tendant ou aboutissant exactement à la même fin : « On ne doit pas se dissimuler désormais ce qui est caché au fond de cette culture socratique : l’illusion sans borne de l’optimisme ! Il ne faut plus s’étonner de ce que les fruits de cet optimisme mûrissent, de ce que la société, corrodée jusqu’à ses couches les plus basses par l’acide