Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/148

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Et qu’on ne me reproche pas, pourrait dire Nietzsche, que tantôt je fais dériver la religion de la morale, comme plus haut (la morale forcée d’inventer la religion pour ne pas être absurde), tantôt je fais dériver la morale de la religion, comme maintenant. Il n’y a pas contradiction, vous le voyez bien, puisque la morale et la religion, c’est la même chose. Ce sont deux formes de la même pensée, et c’est la vérité même que : tantôt cette pensée, sous forme de religion, crée la morale, la construit, la développe et la laisse, même après elle, dans l’humanité ; et tantôt cette pensée sous forme de morale, a besoin de la religion pour se soutenir, pour se prouver, pour se donner un air raisonnable et à son tour crée la religion. Religion et morale se créent alternativement, ou dans le même temps, l’une l’autre ; — elles s’engendrent réciproquement, indéfiniment, au cours des temps, et pour mieux dire, elles sont consubstantielles l’une de l’autre ; — et elles sont, si vous voulez, une même divinité en deux personnes, qui tantôt présente à l’humanité une de ses deux personnes, puis une autre ; mais la première amène toujours à sa suite la seconde, et la seconde ramène toujours et est toujours forcée de ramener la première ; — et quelle est la première chronologiquement, c’est ce qu’on ne sait pas et c’est probablement ce qu’on ne peut