Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/178

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est celui-ci : « Il faut bien que vous m’aimiez. Je le mérite, puisque je vous aime. » Le désir constituant un droit, c’est le sophisme des amoureux, des pieux, des collectivistes et de ceux qui sollicitent la croix de la Légion d’honneur. L’homme pieux prie pour obtenir, comme l’amoureux. Primitivement, ces prières ont dû être — et l’on a des exemples indiquant qu’il en a été ainsi — très semblables les unes aux autres.

Singulière aberration de l’orgueil et du désir que la prière. Il faudrait, pour qu’elle eût un sens : 1° « qu’il fût possible de déterminer ou de changer le sentiment de la divinité » ; 2° « que celui qui prie sût bien ce qui lui manque et ce qu’il lui faut. » Chose curieuse, le Christianisme ! Ces deux conditions nécessaires de la prière ont été niées par le Christianisme, qui a inventé le Dieu omniscient et omniprévoyant, le Dieu immobile et qui a affirmé que Dieu seul sait ce qu’il nous faut et que nous l’ignorons ; et cependant le Christianisme a maintenu la prière. Il a maintenu la prière « parallèlement à la foi en une raison omnisciente et omniprévoyante de Dieu, par quoi, en somme, la prière perd sa portée et devient même blasphématoire ». Il a été très rusé en cela. « Il a montré par là l’admirable finesse de serpent dont il disposait. Car un commandement clair : « Tu ne prieras