Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/195

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fondi les vieilles idées pour leur faire porter des fruits, les cultivateurs de l’esprit. Mais toute terre finit par être épuisée et il faut que toujours revienne le soc de la charrue du mal. Il y a maintenant une doctrine de la morale foncièrement erronée, doctrine très fêtée surtout en Angleterre. D’après elle, les jugements bien et mal sont l’accumulation des expériences sur ce qui est opportun ou inopportun ; et, d’après elle, ce qui est appelé bien, c’est ce qui conserve l’espèce, et ce qui est appelé mal, c’est ce qui lui est nuisible. Mais, en réalité, les mauvais instincts sont opportuns, conservateurs de l’espèce et rénovateurs au même titre que les bons. Leur fonction, seulement, est différente. »

Pour toutes ces raisons, qui sont irréfutables, il faut réhabiliter la seule vertu vraie de l’homme, la volonté de puissance, l’égoïsme intégral, l’égoïsme radical et intransigeant, l’égoïsme sans déguisement, altération ni mélange, l’égoïsme franc et hardi. Il faut dépouiller comme un vêtement embarrassant et étouffant, ou exsuder comme un virus mortel, cette morale qui n’a jamais qu’un but, qu’un objet, qu’une préoccupation, qu’une passion : tuer l’individu, dans le dessein, erroné du reste, de faire vivre la société.

Il n’y a rien de plus féroce que cette morale pré-