Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/205

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[la science philosophique, la science générale, la connaissance] on peut favoriser l’un et l’autre dessein. Peut-être connaît-on maintenant la science, plutôt à cause de sa faculté de priver les hommes de leur plaisir et de les rendre plus froids, plus insensibles, plus stoïques. Mais on pourrait aussi lui découvrir des facultés de grande dispensatrice des douleurs. Et alors, sa force contraire serait peut-être découverte en même temps, sa faculté immense de faire luire pour la joie un nouveau ciel étoilé ! »

Ce qu’il y a de certain, c’est que les passions sont des forces que l’on peut réprimer, mais non pas sans réprimer et supprimer la vie elle-même, qu’elles sont la vie elle-même et qu’elles donnent à l’homme qui s’abandonne à elles des douleurs vives et des joies profondes, le plaisir à la souffrance, le bonheur et le malheur — et par conséquent le bonheur. Car c’est là qu’il en faut arriver, l’homme est fait pour une vie où il entre du malheur mêlé de joies ; il est fait pour une vie accidentée ; il est fait pour une vie dramatique ; il est fait pour une vie dangereuse. La vie dangereuse, c’est la vie naturelle de l’homme. C’est celle qui le garde de l’ennui, de la mélancolie, de la dépression, de la stagnation, du dégoût, et des passions basses, ou, pour mieux parler,