Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/216

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de soi dans la tâche journalière. Un tel homme qui, au fond, a honte de son existence — peut-être héberge-t-il, de plus, quelques petits vices — et qui, d’autre part, ne peut pas s’empêcher de se corrompre toujours davantage, de devenir toujours plus vaniteux et plus irritable, irrité par des livres auxquels il n’a pas droit ou une société plus intellectuelle qu’il ne peut la diriger : un tel homme, empoisonné de part en part ; car, chez un pareil raté, l’esprit devient poison, la culture devient poison, la propriété devient poison, la solitude devient poison ; finit par tomber dans un état habituel d’esprit de vengeance, de volonté de vengeance. De quoi pensez-vous qu’il puisse avoir besoin, absolument besoin, pour se donner à part soi l’apparence de la supériorité sur les hommes plus intellectuels, pour se créer la joie de la vengeance accomplie, au moins pour son imagination ? Toujours de la moralité, on peut en mettre la main au feu, toujours des grands mots de morale, toujours de la grosse caisse de la justice, de la sagesse, de la raison, de la sainteté, de la vertu ; toujours du stoïcisme de l’attitude (comme le stoïcisme cache bien ce que quelqu’un n’a pas !) toujours du manteau du silence avisé, de l’affabilité, de la douceur, et, quels que soient les noms que l’on donne au manteau de l’idéal sous lequel se cachent