Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/252

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joue et donne encore sa tunique lorsqu’on lui a pris son manteau ; il veut que l’État ne juge pas, ou juge avec une indulgence de père de famille faible et même affaibli. Il veut que l’État, chose curieuse, soit tout et ne fasse rien, en quoi, bien que ce soit un peu burlesque, il a raison ; car pour que l’espèce supérieure soit réprimée et diminuée, il faut que l’État, constitué par la pluralité plébéienne, soit tout ; et pour que l’État ait les vertus, les idées et les sentiments et les mœurs de la pluralité plébéienne, il faut qu’il ne fasse rien.

La plèbe organise ainsi, si cela peut s’appeler organiser, un État destructeur de l’espèce supérieure (ou d’une grande partie de l’espèce supérieure) et désarmé, d’une part contre l’étranger avide et d’autre part, à l’intérieur, contre les ennemis violents ou rongeurs, volontaires ou involontaires, de la société. Cet État plébéien est répresseur de la partie la plus élevée de l’espèce supérieure, comme nous l’avons vu, et aussi il est destructeur de la partie un peu moins élevée de l’espèce supérieure, en ce que, celle-là, il l’appelle, il l’attire, il l’entraîne à la politique et l’y épuise. « Toutes les conditions politiques et sociales ne valent pas que des esprits bien doués soient forcés de s’en occuper. Un tel gaspillage des esprits est en somme plus grave qu’un état de misère. La politique est un champ