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vateur, et qui n’en sont que des exagérations, des modifications, des perversions. Ainsi l’homme d’en bas « s’irrite, sans doute, contre les passions du ventre ; mais encore il comprend l’attrait qui exerce cette tyrannie » et il l’excuse ou en sourit. Mais comment comprendrait-il que l’on puisse « par exemple, pour la passion de la connaissance, mettre en jeu sa santé et son honneur ? » Là, pour lui, commence la folie. Les hommes supérieurs sont pour les hommes d’en bas des maniaques.

Il faut bien comprendre cela pour être juste. Il n’y a pas seulement dans la haine des hommes vulgaires pour les hommes supérieurs de la jalousie, de l’envie, du dépit haineux, de l’amour-propre humilié, de la vanité qui s’irrite ; il y a de tout cela certainement, à haute dose ; mais il y a aussi quelque chose, sinon de respectable, du moins qui mérite considération, il y a la stupeur de l’être normal[1] devant l’être monstrueux. Et réciproquement, l’homme supérieur est profondément injuste pour l’homme d’en bas. L’homme supérieur a un goût naturel pour des choses qui généralement laissent froids les hommes, pour l’art, pour la science, pour la beauté, pour la haute curiosité, pour la haute vertu. Comparés à la masse, les hommes supérieurs sont des chercheurs

  1. « Homme médiocre, homme normal » (Lombroso).