Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/350

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De là ce caractère religieux de la morale, qui fait que la morale, si elle survit à la religion, devient une religion elle-même, inspire à ceux qui l’aiment de véritables passions religieuses.

Ajoutez à cela, pour entretenir indéfiniment — ce dont je suis loin de me plaindre — cette passion dans le cœur de l’homme, ce mobile qui est éternel. L’homme fut d’abord un animal pour qui la lutte contre les fauves et contre les hommes était une nécessité quotidienne. L’homme est donc né belliqueux, ou, si vous voulez, et je ne chicanerai point sur cela, il a été disposé et entraîné pour le combat par des milliers de siècles préhistoriques. Ce caractère, il l’a gardé. Il n’a plus, une fois les civilisations établies et assises, le besoin de combattre tous les jours contre les fauves ou contre les hommes ; mais il a gardé le goût du combat ; et à l’exercice de ce goût il a matière tous les jours. Il a ses passions, qui sont ses fauves intérieurs, et lisent et il sentira tous les jours le besoin de se battre contre ces fauves-là. Dès lors il se bat en effet tous les jours contre lui-même et il prend à se vaincre autant de plaisir que son arrière trisaïeul en prenait à assommer un ours ; et c’est le plaisir le plus vif, le plus profond, le plus intense qu’il ait encore inventé.

Par ce chemin encore la morale est devenue une