Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/352

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quand il l’en distingue, il la promeut elle-même à la dignité et à la majesté mystérieuse d’une religion. Il adore enfin en elle une forme de son instinct belliqueux dont il sent qu’il a et qu’il aura toujours besoin, et dont les victoires et triomphes sont ce qu’il goûte au monde de plus profondément voluptueux et exquis.

Quoi donc d’étonnant à ce que la morale ait à ses yeux une importance qui ne le cède à aucune autre ? Est-ce l’art, la science, la politique qui ont fait les civilisations, qui ont fait l’humanité ? Elles y ont contribué ; mais elles ne l’ont pas faite. Est-ce la science, l’art, la politique qui commandent avec une sorte d’autorité sacrée et qui obligent ? Qui nous dit, du fond de notre être : « Tu dois savoir, tu dois faire des vers, tu dois être homme d’État ? » Rien, ou si quelque chose nous le dit, c’est précisément la morale ou je ne sais quoi, qui emprunte sa voix : Tu dois savoir pour éclairer les hommes sur les vérités et les rendre plus heureux ; tu dois être artiste pour les rassembler dans des jouissances désintéressées et les rendre, par cette concorde, plus heureux ; tu dois te dévouer à l’État pour assurer le bonheur de tes concitoyens. Mais ni la science, ni l’art, ni la politique n’ont par eux-mêmes cette voix de commandement et cet accent impératif. Et que la morale n’ait ce caractère de