Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/358

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queur, que M. de Turenne soit maréchal, que Versailles soit une féerie. Il le veut, puisqu’il sert si bien, et avec enthousiasme. Il n’y a pas de moyen de marquer mieux sa volonté. S’il ne le voulait pas très précisément, par simple force d’inertie, par simple force de nonchalance, il ferait que rien de tout cela ne serait. Il laisserait conquérir la France par l’Espagnol, l’Allemand ou l’Anglais, en disant : « Qu’est-ce que cela peut bien me faire ? » Une nation aristocratique, c’est une nation où l’aristocratie et le peuple sont aristocrates autant l’un que l’autre.

Et non pas autant que l’autre, le peuple beaucoup plus que l’aristocratie elle-même ; car dans l’aristocrate l’aristocratisme peut n’être qu’un intérêt, et dans le peuple il faut qu’il soit une passion. À la constitution aristocratique, au régime aristocratique, à la vie aristocratique, à la vie brillante et dangereuse qu’a à gagner l’aristocrate ? Beaucoup : richesses, honneurs, gloire, orgueil satisfait. Qu’a à gagner le plébéien ? Rien. « Force coups, peu de gré, la mort à tout propos. » Pour qu’il soit aristocrate, il faut que le plébéien ait la passion aristocratique ; il faut, démarche singulière de la passion, mais qui n’étonne point le psychologue, qu’il jouisse de son sens aristocratique dans le succès des autres, qu’il soit heureux de Condé