Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/365

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assez probable qu’elle est faite pour vivre ici-bas le moins mal possible, pour croître, pour se multiplier, pour s’asservir la terre et pour y mener une vie à peu près supportable. « Allez, vivez et peuplez la terre », est une parole assez raisonnable. Je ne vois pas, ce qui indique très nettement que sa mission soit de faire des choses destinées à ravir d’aise les poètes, les artistes et les dilettantes, « res fruendas oculis. » La beauté est une chose admirable. Qu’elle soit la seule à chercher, à trouver, à réaliser par l’effort, par la souffrance, par les larmes et par le sang, je ne puis parvenir à en être absolument certain.

Est-ce que, comme il est tout naturel, et comme je n’aurai pas la niaiserie de m’en étonner, Nietzsche ne serait pas tombé, à son point de vue, dans la même erreur ou dans le même excès que les moralistes dans le leur ? Je lui faisais dire plus haut : « La morale prétend être le seul but légitime et permis de l’activité humaine. Est-ce que la science prétend être le seul but de l’activité humaine ? Est-ce que l’art a la prétention d’être le seul but de l’activité humaine ? Ils auraient tort. La morale aussi. » Eh bien, que l’art doive être le but suprême de l’humanité et qu’il faille lui tout sacrifier, c’est précisément ce que dit Nietzsche très souvent et ce qu’il pense toujours. Il me semble qu’il