Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/370

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Comme je ne sais quel croyant a dit : « Il faut qu’il y ait des hérésies, » je dirai assez volontiers : il faut qu’il y ait des sophistes. Cela réveille, cela fait sortir de la langueur, cela fouette comme une aigre bise, cela met du mouvement et « du vent âpre et joyeux » dans la vie intellectuelle. Cela donne du ton. Il faut qu’il y ait des sophistes ; ils finissent, par réaction, par restaurer les lieux communs et par leur communiquer un nouveau lustre et une nouvelle fraîcheur. Je suis plus moraliste depuis que j’ai lu l’immoraliste Nietzsche et depuis que j’ai constaté que Nietzche, après avoir repoussé furieusement toute morale, est amené insensiblement à en établir une, et même deux, ce qui conduit à croire qu’il y en a cent, lesquelles, en se superposant, en se rattachant les unes aux autres et en se hiérarchisant, en forment une.

Et puis il est très bon, il est de première importance que, de temps en temps, que souvent, quelqu’un tasse des opinions humaines, des croyances humaines et des plus enracinées et des plus imposantes une révision complète, absolue, intégrale et radicale. Il est très bon que quelqu’un dise souvent, comme Nietzsche l’a dit : « Accepter une croyance simplement parce qu’il est d’usage de l’accepter, ne serait-ce pas être de mauvaise foi, être lâche, être paresseux ? Et veut-on donc que la mauvaise foi, la