Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/47

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monde tel qu’il est ne sont pas autre chose que des suicides. Ils sont, au moins, des sécessions. L’homme se retire du réel dans l’idéal comme le peuple de la cité sur le Mont Sacré, et il appelle sacré ce lieu, seulement parce qu’il s’y retire ; mais il n’y a aucune raison de le nommer ainsi et il n’est sacré que comme un tombeau. Nous faisons partie de l’Univers et je ne sais pas trop ce qui nous donnerait bien le droit de le juger. Il est et nous en sommes. Notre affaire c’est de l’accepter joyeusement et d’aller où il va, peut-être en l’aidant à y aller, en ajoutant à son expansion, à son développement large et fougueux, à la gloire de son mouvement, de son rythme et de son geste ; et de s’appliquer à y mettre plutôt une dissonance, outre que l’effort en est puéril, cela ne parait pas très rationnel. Non, je ne veux pas l’homme buté, morose et boudeur ;« je veux l’homme le plus orgueilleux, le plus vivant, le plus affirmatif ; et je veux le monde, et le veux tel qu’il est, et je le veux encore, et je le veux éternellement et je crie insatiablement : bis ! et non seulement pour moi seul, mais pour toute la pièce et pour tout le spectacle ; et non seulement pour tout le spectacle ; mais au fond pour moi, parce que le spectacle m’est nécessaire, et parce que je lui suis nécessaire et parce que je le rends nécessaire. »