Page:Faguet - La Tragédie française au XVIe siècle, 1894.djvu/195

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— 183 — classique ont vu jouer leurs œuvres sur le théâtre populaire du temps : la foule les a connus, elle semble les avoir goûtés. S’il en est ainsi, cela même autorise à prêter à cette école une attention sérieuse : c’est bien sur un théâtre vivant, et non sur des exercices de cabinet ou d’école que porte notre étude. Tel était l’état du théâtre, très brillant, très animé, quand Robert Garnier parut.

III

Robert Garnier a écrit pour le théâtre pendant douze ans, de 1568 (Porcie) à 1580 (Bradamante). Le développement de son talent, au cours de cette période assez longue, se marque par trois tournures d’esprit un peu différentes les unes des autres, par ce que nous appellerions de nos jours trois manières, et ceci ne laisse pas d’être remarquable. En effet, l’esprit de Robert Garnier semble avoir suivi dans son progrès la marche même de l’esprit français au XVIe siècle, pour ce qui regarde les choses de théâtre. Dans une première période (trois pièces : Porcie, Cornélie, Hippolyte), il en est, avec toute l’école classique du temps, avec Jodelle, avec Grévin, à ne considérer une tragédie que comme une élégie mêlée de développements oratoires. L’influence de Sénéque est sur lui sans partage, et Scaliger signerait ses plans. Dans une seconde période (trois pièces : Marc- Antoine, la Troade, Antigone), deux soucis se montrent chez lui : creuser les caractères, nourrir de plus de matière la fable de sa tragédie. Le moule de la tragédie classique lui a semblé trop vide ; il cherche à le remplir de matériaux pris çà et là, et ramassés quelquefois avec une curiosité malheureuse. Dans la troisième période, par deux puissants efforts (Les Juives, Bradamante), il tâche à renouveler son talent. Plus sûr, après de longs tâtonnements, de sa composition, il revient à la simplicité du plan ; mais habile déjà à le remplir du seul développement des situations et des caractères, il anime ses