Page:Faguet - Le Libéralisme.djvu/112

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tout. L’opinion publique est un renseignement, bon ou mauvais. Mais le premier intérêt pour un gouvernement est de ne pas être privé de renseignements. Juge-t-il que ces renseignements sont discordants ? Il a à choisir. Juge-t-il que l’idée générale que lui donnent ces renseignements est fausse, l’opinion générale d’une nation étant l’expression de passions et n’y ayant pas de gouvernement plus mauvais que celui qui se laisse guider par des passions ? Eh bien, qu’il gouverne contre l’opinion publique, mais encore pour cela faut-il qu’il la connaisse. Louis XIV, s’il avait consulté l’opinion publique sur la question, aurait-il fait la révocation de l’Edit de Nantes ? Oui, certainement, il l’aurait faite. L’opinion publique était en formidable majorité pour l’extinction de l’hérésie. Oui, mais en consultant l’opinion publique, en la regardant bien, on ne voit pas seulement ce qu’elle est ; on en voit la couleur. A consulter l’opinion publique de son temps, Louis XIV se fût aperçu d’abord qu’elle était contre les protestants, ensuite qu’elle n’avait aucune bonne raison à donner, qu’elle était faite partie de passions religieuses, partie de haines locales, partie de jalousies professionnelles à l’égard d’artisans, de commerçants, d’industriels et d’artistes habiles ; et que, pour tous ces motifs, il fallait ne pas s’y conformer. « Je consulte l’opinion pour ne pas la suivre. Encore, pour ne pas la suivre, faut-il que je la connaisse. »