Page:Faguet - Le Libéralisme.djvu/263

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la condition qu’ils n’aient pas de fidèles, et les orateurs, à la condition qu’ils ne soient pas écoutés. » L’égalité n’a rien à redouter des isolés. Ils lui ressemblent. Ils sont des individus dissociés ou non associés. Dès qu’ils ont créé une association autour d’eux, ils sont reconnus par l’égalité comme ses ennemis naturels en tant que créateurs d’association.

Mais un penseur, un orateur, un écrivain ne pense jamais, ne parle jamais, n’écrit jamais que pour communiquer sa pensée et former un groupe d’hommes pensant comme lui. Il n’est donc en réalité un danger pour l’égalité que quand il a fait des prosélytes ; mais il l’est en puissance, il l’est même en dessein, dès qu’il écrit, dès qu’il parle et dès qu’il pense. L’égalité n’est pas sans s’en apercevoir ou sans s’en douter ; et si elle déteste le penseur qui a réussi, elle se méfie, quand elle est intelligente et prévoyante, même du penseur qui n’a pas réussi encore. Napoléon avait en horreur tous les idéologues et ne distinguait pas entre ceux qui avaient de l’influence et ceux qui n’en avaient pas ; car tous, à un moment donné, pouvaient en avoir. A mesure que l’égalité prend des forces et prend conscience d’elle-même, elle tient pour obstacles ou pour dangers tous ceux qui pensent librement, parce qu’ils peuvent faire des sécessions dans l’Etat, et que les uns en font de très réelles et qu’il peut arriver que les autres en