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POUR QU’ON LISE PLATON

Et si l’on venait me répéter que tempérance et abstention constituent le vrai bonheur et que « ceux qui n’ont besoin de rien sont heureux », je dirai que ceci sans doute est une morale, mais la morale « des pierres et des cadavres ».

Ne voit-on pas, à consulter sans parti pris et surtout sans hypocrisie les opinions des hommes, que la vie heureuse et, pour parler net, la vie normale est pour eux le déploiement large d’une volonté libre ? Les dieux, les héros, les rois sont-ils moraux, dans les histoires légendaires qu’on raconte en leur honneur ; sont-ils moraux, c’est-à-dire abstinents, tempérants, respectueux de la justice et de l’égalité entre les hommes ? Ils sont passionnés, volontaires et capricieux. Ce n’est pas à dire qu’ils soient méchants, et c’est encore une adresse sophistique des philosophes que donner toujours ce mot de méchant, qui a mauvaise couleur, pour équivalent et synonyme d’énergique et de passionné ; ils ne sont pas méchants, ils ont des énergies et des puissances pour ce qu’on appelle le bien et ce qu’on appelle le mal, pour la bienfaisance et pour la destruction, pour la générosité et pour la vengeance. Us sont de grandes et belles forces. C’est de ces grandes et belles forces et de leur déchaînement, sans frein de pusillanimité et sans entraves de vains scrupules, qu’est faite la