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POUR QU’ON LISE PLATON

sionné est un homme qui puise de l’eau ou du vin dans un crible. Il croit boire la vie et il la fait passer à travers lui, pour ainsi parler, sans la sentir. Et c’est là ce que vous appelez une force ? Ne voyez-vous pas que c’est une faiblesse, une impuissance et par conséquent quelque chose de très analogue à la mort ? En dernière analyse, c’est une illusion.

Il est assez naturel à l’homme, à l’homme peu réfléchi surtout, de prendre ses faiblesses pour des forces, parce qu’il prend les désirs pour des activités. Ne serait-ce pas une erreur ? Le désir est une instabilité, une impatience, une démangeaison et par conséquent une maladie, et la vie toute en désirs est une suite de maladies qui fait de l’homme, sinon un mort tout à fait, du moins un éternel moribond. Il me semble bien que la force se mesure à l’effort, se sent dans l’effort, prend conscience d’elle-même dans l’effort, se définit même, à proprement parler, par l’effort, et que, par conséquent, s’il faut un plus grand effort pour vaincre les pussions que pour les suivre ; et si même, ce qu’on m’accordera, il en faut beaucoup pour les vaincre et il n’en faut aucun pour s’y abandonner, l’homme fort est celui qui contient et réprime ses passions et non pas celui qui se laisse mener par elles.