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PROPOS LITTÉRAIRES


Avez-vous tué ? Tuer, ce n’est pas seulement causer la mort d’un homme sur le coup ; c’est aussi la causer après une semaine, après une année, plus tard encore. Ce n’est pas seulement ôter la vie, c’est l’abréger. Avez-vous abrégé les jours de quelqu’un ? Avez-vous, dans la chaleur dune querelle, dans l’emportement de la colère, porté à une femme, à un enfant, à un domestique, à un ouvrier de ces coups furieux, ou lui avez-vous fait souffrir de sang-froid de ces mauvais traitements prolongés qui défigurent le corps, en dérangent l’équilibre, en détruisent la vigueur ? Avez-vous, dans vos manufactures, abusé des besoins du pauvre et de la faiblesse de l’enfance pour les charger d un travail excessif qui les fait végéter, languir, pâlir et mourir lentement au profit de votre bien-être et de votre orgueil ? Avez-vous par voire avarice, par votre dureté, par votre injustice, opprimé un inférieur, découragé une industrie, traversé la carrière d’une famille, ôté à un père son travail, à une mère son sommeil, à des enfants leur pain ? Avez vous entraîné un compagnon, un ami — un ami ! — dans l’excès du manger et du boire, ou dans les convoitises de la chair, qui ont altéré, ruiné pour jamais sa santé ? Avez-vous, en déchirant une réputation, en troublant un ménage, en brisant une âme tendre par vos froideurs, en payant les bienfaits par l’ingratitude, déposé dans le sein de quelque personne, peut-être d’un mari ou d’une femme, que sais-je ? d un père ou d’une mère, une de ces douleurs profondes, incurables, qui bouleversent l’existence, brisent jusqu’aux forces du corps et font descendre au sépulcre avant le temps ?…

Est-ce frapper assez juste ? Est-ce direct, pénétrant et fort ? Ne nous sentons-nous pas tous atteints par cette épée fine, aiguë et inévitable qui nous presse, qui nous poursuit et que nous sentons qui nous entre en pleine chair ?

Et nous y voilà. Voilà le rôle du prédicateur. Il doit nous forcer à faire notre examen de conscience, cet examen qui nous est prescrit aussi bien par