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cieux, oncle de Joubert, peu ouvert à la foule et qui, très évidemment, ne lient point du tout à s’ouvrir à elle.

C’est Condorcet, optimiste corps et âme, cœur et pensée, par le sentiment et par l’idée, visionnaire froid, qui voit comme flegmatiquement l’humanité bonne en son principe et en son origine, bonne en son développement, quoique contrariée par quelques accidents historiques, bonne, dans son avenir, parfaitement, éperdument, à donner un peu la satiété préalable de tant de bonté et de tant de bonheur. — Mais Condorcet est méthodique, logicien et abstrait. Ce n’est pas cela qui convient aux masses profondes. Livre vénérable, vénéré, glorifié et illisible. Livre illustre et inconnu. Livre résumé pour la foule dans son titre, comme le « Tiers état » de Sieyès. Un de ces livres dont il reste un nom immortel. Slat magni nominis umbra.

Si nous songeons aux moralistes qui furent poètes ou qui ont écrit en vers, d’abord ils ne sont pas nombreux et ensuite ils ne répondent point du tout à ce que la foule demande aux poètes de cette sorte. Les moralistes poètes sont des satiriques, presque tous. Boileau n’a su dire à l’humanité que des impertinences spirituelles. Il les dit très bien, quelquefois avec lourdeur, le plus souvent avec cette verdeur rigoureuse qui sent quelque chose de l’antiquité latine et quelque chose du XVIe siècle. Beaucoup plus élève de Régnier qu’on ne croit et qu’il