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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/192

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Voltaire

gination, c’est de l’hyperbole, c’est du lyrisme ; mais qui n’est point misanthropique.

Il lui arrive aussi de montrer le bon côté des folies qu’il signale, à tel point même qu’il semble prendre par jeu la défense des abus qu’il vient de dénoncer. Ces marchands qui vous volent en vous faisant payer dix fois sa valeur l’objet qu’ils vous vendent, oubliez votre bourse chez eux, ils vous la rapporteront[1]. Ces juges qui achètent leur charge ne jugent pas pour cela plus mal, et peut-être mieux, ne jugeant que d’après les lumières du simple bon sens[2]. Ces officiers qui achètent leur régiment se battent très bien, nonobstant, et sont attachés à leur troupe comme à leur propriété[3]. Enfin, « la société humaine est un mélange de bien et de mal, une statue composée de tous les métaux, des terres et des pierres les plus précieuses et les plus viles. » Faut-il casser cette jolie statuette parce qu’elle n’est pas tout or et diamants[4] ?

Voilà Voltaire réprimant lui-même sa misanthropie, parce que, sous toutes ses colères, le bon sens reste, qui se dit que si l’humanité était tout entière crime, vice et folie, il y aurait longtemps sans doute qu’elle aurait cessé d’être. Le bon sens et l’instinct des conclusions modérées combat et corrige la misanthropie. Le Mondain se mêle un peu à Candide. À la vérité, les couleurs sombres dominent encore et les quelques traits plus clairs qu’il y mêle pourraient bien n’être qu’un artifice artistique à dessein d’éviter la monotonie.

Et tout de même le Voltaire des Nouvelles et Romans est très fortement pessimiste.

  1. Viston de Babouc
  2. Id.
  3. Id.
  4. Id.