Aller au contenu

Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
Voltaire

vols et ces injustices : voilà pour l’homme ; mais surtout pourquoi ces famines, ces pestes, ces maladies, qui, certes, surtout quand elles sont héréditaires, ne sauraient être attribuées à l’imprudence et à l’incurie de celui qu’elles accablent, et ces convulsions inutiles de la nature, tempêtes, inondations, volcans qui s’ouvrent, tremblements de terre ?

L’homme est gouverné par le hasard, l’histoire est le règne du hasard ; soit ; car on peut dire : c’est la faute de l’homme ; il est gouverné par le hasard parce qu’il se gouverne par le hasard ; — mais le hasard semble gouverner l’univers lui-même, et ceci est le scandale de la raison. Celui qui a créé et organisé cette machine, assez belle si l’on veut, mais mal liée et grinçante, n’aurait-il pas plus de raison que l’homme lui-même ? C’est bien singulier.

Nous voilà en plein pessimisme, en pleine révolte contre l’ordre universel des choses. Un philosophe ridicule, Pangloss, défend cet ordre par des arguments que Voltaire a faits à dessein très faibles. La grande raison qu’il donne sans cesse est l’enchaînement des causes et des effets. Les choses dont nous nous plaignons le plus sont des résultats nécessaires des grandes lois par lesquelles l’univers subsiste. Elles devaient arriver. Ce qui doit arriver est bien, parce qu’il est logique. La logique est la forme sensible de la raison. Ce qui est logique est rationnel, et ce qui est rationnel doit satisfaire la raison humaine. Ce qui est rationnel est bien. Tout est donc bien parce que tout est enchaîné logiquement. Nous ne pouvons pas en demander davantage.

— Mais si ! répondent ceux qui sont les interprètes de la pensée de Voltaire. Il est trop facile de confondre l’ordre logique et l’ordre moral, le bien logique et le bien