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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/196

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Voltaire

chacun sa part dans le gouvernement de cet empire et luttent l’un contre l’autre sur ce domaine, ce qui y maintient du bien et du mal, et surtout de l’anarchie.

Bref, sous une forme ou sous une autre, c’est toujours la doctrine pessimiste que Voltaire expose ou laisse percer dans ses Romans.

Seulement, comme il est un misanthrope qui se réprime, de même il est un pessimiste qui se modère.

Il va jusqu’à l’indignation ; il ne va pas proprement jusqu’à la révolte. Cet instinct de résignation que je signalais plus haut comme manquant au misanthrope et au pessimiste, Voltaire, parce qu’il est colérique, ne l’a pas souvent, et parce qu’il est homme de bon sens, il l’a quelquefois. À un moment donné il sait dire :

Pourquoi vous plaindre ? On ne se plaint avec justice et raison que de celui qui a promis quelque chose et qui ne l’a point donné. Dieu nous a-t-il promis quelque chose ? Exiger que le mal n’existe pas sur la terre, ou vouloir même un moindre mal, c’est prendre ses mérites pour des droits.

Désirons le bonheur, désirons le bien ; mais ne croyons pas qu’ils nous fussent dus. Pourquoi le seraient-ils ? « Quand Sa Hautesse le Sultan envoie un vaisseau en Égypte, s’embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à leur aise ou non ? » Ainsi en agit Dieu à notre égard. Il est aussi facile de s’étonner qu’il y ait du bien pour nous sur la terre et de l’en remercier, que de s’étonner qu’il y ait du mal et lui en faire reproche. Entre ces deux partis également faciles, prenons celui qui nous mettra le moins en colère.

Tel est le correctif que Voltaire a trouvé à son pessimisme, sur quoi, du reste, il faut reconnaître qu’il a beaucoup moins insisté que sur le pessimisme lui-même, parce qu’il n’était d’humeur douce que de temps en