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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/206

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Voltaire

traité de même ici, quoique je sois venu, comme Vos Majestés, passer le carnaval à Venise. »

Les cinq autres rois écoutèrent ce discours avec une noble compassion. Chacun d’eux donna vingt sequins au roi Théodore pour avoir des habits et des chemises. Candide lui fit présent d’un diamant de deux mille sequins.

« Quel est donc, disaient les cinq rois, cet homme qui est en état de donner cent fois autant que chacun de nous et qui le donne ? Êtes-vous roi aussi, Monsieur ?

— Non Messieurs, et n’en ai nulle envie. »

Dans l’instant qu’on sortait de table, il arriva dans la même hôtellerie quatre Altesses sérénissimes, qui avaient aussi perdu leurs États par le sort de la guerre et qui venaient passer le reste du carnaval à Venise.

On voit que les romans de Voltaire sont des œuvres assez divertissantes. Ils ne consolent guère, ils n’élèvent point l’âme bien haut ; mais ils amusent, non sans quelque invitation aux réflexions viriles. « L’homme, dit Bossuet, curieux de spectacles, s’en est fait un, tant il est vain, de la peinture de ses erreurs. » Et il faut ajouter que ce spectacle n’est pas si vain ; d’abord quand il est aménagé par un homme de génie ; ensuite quand, en peignant nos erreurs, il nous indique quelques moyens, hasardeux sans doute, mais pratiques encore, de n’y pas tomber. Les satiriques amers, comme Voltaire en ses romans, comme La Rochefoucauld, comme La Bruyère peuvent être pour nous une forme un peu chagrine, un peu incisive, mais singulièrement vigilante et réveillante de la conscience.

Ils nous disent que nous ne valons pas grand’chose. Puisque c’est ce dont nous convenons le moins, il n’est donc pas inutile que cela soit dit.

Ils nous assurent que le meilleur d’entre nous est un assez triste sire, et que le plus sage d’entre nous l’est juste assez pour ne pas être aux Petites Maisons.