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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/225

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la correspondance

L’article de vos cinq cents demoiselles m’intéresse infiniment. Notre Saint-Cyr n’en a pas deux cent cinquante. Je ne sais si vous leur faites jouer la tragédie ; tout ce que je sais, c’est que la déclamation, soit tragique, soit comique, me paraît une éducation excellente, qui donne de la grâce à l’esprit et au corps, qui forme la voix, le maintien et le goût ; on retient cent passages qu’on cite ensuite à propos ; cela répand de l’agrément dans la société, cela fait tous les biens du monde.

Il est vrai que toutes nos pièces roulent sur l’amour : c’est une passion pour laquelle j’ai le plus profond respect ; mais je pense, comme Votre Majesté, qu’il ne faut pas qu’elle se développe de trop bonne heure. On pourrait, ce me semble, retrancher de quelques comédies choisies les morceaux les plus dangereux, en laissant subsister l’intérêt de la pièce. Il n’y aurait peut-être pas vingt vers à changer dans le Misanthrope et pas quarante lignes dans l’Avare

Ce que j’admire, Madame, c’est que vous satisfaites à tout ; vous rendez votre cour la plus aimable de l’Europe, dans le temps que vos troupes sont le plus formidables. Ce mélange de grandeur et de grâces, de victoires et de fêtes, me paraît charmant. Tout mon chagrin est d’être dans un âge à ne pouvoir être témoin de tous vos triomphes en tant de genres, d’être obligé de m’en rapporter à la voix de l’Europe…  »

Rousseau venait de publier son Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes (1754) et il l’avait envoyé, sinon soumis à Voltaire, Voltaire lui répondait par la lettre suivante :

« J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain Je vous en remercie. Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités ; mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous