Page:Fagus - Respecte ta main, 1905.djvu/11

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servir ? devise d’un roi, ce roi de Bohême qui, aveugle, se fait, par ses chevaliers, mener au fort de la bataille, et expire des coups reçus pour le loyal service de son maître le roi de France. Parlerai-je des artistes ? Quels artistes ? Il n’existait rien répondant à ce mot, non plus qu’à celui d’ouvrier ; le néfaste divorce fomenté parce que nous n’avons point honte de nommer notre civilisation, ces sages l’ignoraient. Le maître qui tailla l’ineffable Vierge d’Amiens s’intitulait — humilité naïve et fière — s’intitulait artisan tout comme le confrère qui taillait des bahuts (peut-être en taillait-il à l’occasion, qui sait ?) et le sublime inconnu qui dressa Notre-Dame de Chartres, s’appelait tout uniment maître des œuvres. Un sentiment primait tout : le respect de la main, le respect de sa main.

Mais quoi, sa main ? le rimeur ridicule tout à l’heure évoqué, respectait son moignon avec une piété touchante, effroyablement insipide, honnête effroyablement.

Et cela en un temps, de décadence déjà, les justes cruautés de Boileau l’avèrent assez — mais où du moins le respect se conservait encore de ce qui subsistait des angéliques aptitudes d’antan —. Mais aujourd’hui que nous nous contemplons tous estropiés plus ou moins, tous estropiés dans une même direction ? Et moi qui parle ici (je m’ose mettre en avant puisqu’il s’agit de se confesser) moi de qui la main c’est le verbe, si vous saviez, que dis-je, mon Dieu, vous ne vous en apercevez que trop ! quelle peine j’éprouve ici à démêler et rassembler les mots, les phrases, les idées que je m’évertue à vous exposer ! à m’exprimer en français, dans notre langue à tous et à exprimer ma langue à moi, émanation de mon tempérament, à me servir de ma main personnelle !

Ah ! c’est que l’homme fait voir un assemblement de facultés si diverses, si versatiles, si volontiers contradictoires ! chaque homme diffère de chaque homme. Dans chacun de nous, les multiples moments de son passé, et du passé de ses ancêtres, et du passé des autres hommes, et l’oppriment et s’oppriment entre eux, et sa mémoire les lui rend tous présents. Il se débat au milieu de fantômes qui font déjà partie de lui, effarante maladie parasitaire. Il se débat enfin contre une société chao-