Page:Fagus - Respecte ta main, 1905.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et qu’il évacue, uniformément, intarissablement, éternellement, sans plus de fatigue et de pensée que les autres frères bureaucrates : qu’une machine convenablement alimentée et graissée. Ainsi, plus d’artisans, un immense enrégimentement de bureaucrates qui toute leur vie feront pan-pan, le même pan-pan, avec la même machine, dans la même usine, ou crin-crin sur le même papier dans le même bureau, ou recopient le même article dans la même soupente de rédaction et à qui enfin le même journal, le même caporal, le même comité électoral, font toute leur vie pan-pan sur le crâne, le même crâne ! Ô danse macabre des Apte-à-tout ! chacun de ces emboîtés, tout dressé à faire l’identique et universel pan-pan, sans accent et sans écho ! Monstrueux aveuglement d’un temps de qui l’orgueil malade se figure capable de fabriquer une intelligence comme une pendule de précision et aboutit donc à ces monstres risibles et navrants et dont un peu tous nous sommes : les Intellectuels.

Mais il est aussi faux et plus funestement faux peut-être, de croire qu’une main se peut fabriquer. On peut, tout le monde peut devenir l’homme qui sculpte, l’homme qui menuise, l’homme qui politique, mais on ne devient sculpteur, politique ou menuisier que si l’on y naquit. Moins encore qu’une intelligence, se fabrique une main ; aussi malaisément là et là réussit la sacrilège entreprise de détourner de sa voie ou l’une ou l’autre ; elle réussit, au plus, à l’estropier.

J’entends toujours bruire les vers où Baudelaire transcrivit l’enfer que notre époque représente au poète-né :

Lorsque par un décret des puissances suprêmes
Le poète apparaît dans ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes,
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :

— Ah ! que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères
Plutôt que de nourrir cette dérision !
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu son expiation !

Et cœtera : quel et cœtera ! Or, rien n’y fait, ne prévaut contre lui ; dès la naissance il avait sa main ;