Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/103

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ruses de Mercure plein de fourberie. Apollon, étonné, admirait ce prodige. Mercure calme d’abord aisément le fils de Latone, quelque puissant qu’il soit ; puis, de sa main gauche prenant sa lyre, il frappe en mesure les cordes avec l’archet. Sous ses doigts, l’instrument rend un son retentissant. Le brillant Apollon sourit de plaisir, les divins accens pénètrent son âme et remplissent son cœur d’une vive émotion.

Le fils de Maïa, ainsi rassuré, fait résonner sa lyre mélodieuse. Assis près d’Apollon, il joint ses chants aux accens de sa lyre ; sa voix est douce et harmonieuse, il célèbre la naissance des dieux lorsque la terre était encore couverte de ténèbres et qu’elle fut partagée entre les divers immortels. Mais d’abord il consacre ses chants à Mnémosyne, la mère des Muses ; elle comble de dons gracieux le fils de Maïa. Le fils de Jupiter célèbre tour à tour chacun des immortels selon le rang qu’il occupe et selon l’ordre de sa naissance, s’accompagnant de sa lyre il n’omet rien. De vifs désirs de posséder cette lyre sonore se répandent dans le cœur d’Apollon, il s’adresse à Mercure en ces termes :

« Esprit ingénieux et habile qui tues si adroitement les génisses, agréable compagnon des festins, cinquante génisses ne pourraient égaler le prix de tes chants. Désormais il ne s’élèvera plus entre nous que de paisibles débats. Mais dis-moi, ô fils rusé de Maïa, s’il te fut donné à l’heure de ta naissance d’accomplir toutes ces merveilles ou si quelque dieu ou quelque mortel te comble de ces faveurs brillantes ou t’enseigne ces chants sublimes. Tu viens de me faire entendre des accords tout nouveaux et une voix admirable que jamais aucun homme, aucun habitant de l’Olympe ne peut égaler, je pense. O divinité chérie, fils de Jupiter et de Maïa, d’où te vient cet art ? Quelle Muse peut ainsi dissiper les noirs chagrins ? Quelle est cette harmonie ? J’y trouve réunis toutes les voluptés, le plaisir, l’amour, et le penchant au doux sommeil. Moi-même, compagnon habituel des Muses de l’Olympe, ami des douces chansons, des accens mélodieux de la lyre et des doux accords des flûtes, moi-même je ne goûtai jamais autant de plaisir en prêtant l’oreille aux refrains que répètent les jeunes gens au sein des repas. Fils de Jupiter, j’admire quels sons merveilleux tu sais tirer de ta lyre. Assieds-toi donc, cher enfant, toi qui jeune encore connais déjà les nobles pensées, célèbre les louanges de tes aînés : la gloire et celle de ta mère sont déjà grandes parmi les dieux. Je te parle sincèrement : je te le jure par ce dard de cornouiller ; je le reconduirai heureux et triomphant dans l’assemblée des immortels ; je te ferai des dons magnifiques et jamais je ne le tromperai. »

Mercure lui répond aussitôt par ces paroles pleines de flatterie.

« Illustre Apollon, puisque tu m’interroges, je ne refuserai pas de t’enseigner les secrets de mon art : je veux te les apprendre aujourd’hui même ; je veux t’être favorable dans mes pensées et dans mes paroles. Fils de Jupiter, tu es fort et puissant, tu t’assieds le premier parmi les immortels : Jupiter te chérit à juste titre, il te comble de présens et d’honneurs. On dit en effet que tu reçus de ce dieu le don de révéler l’avenir : c’est de Jupiter que naissent tous les oracles ; je te reconnais maintenant pour un opulent héritier. Ce que tu désires savoir, ce serait à moi de l’apprendre de toi. Puisque tu souhaites jouer de la lyre, chante, prélude, livre ton cœur à la joie en la recevant de mes mains. Ainsi c’est toi qui me combles de gloire, chante donc en t’accompagnant de cet instrument mélodieux qui sait rendre avec justesse toutes les modulations. Heureux et fier, tu la porteras ensuite dans les festins, au milieu des chœurs aimables des danses et des fêtes splendides qui charment la nuit et le jour. Qu’un homme habile en son art interroge cette lyre, de suite elle révèle à son âme mille délicieuses pensées ; elle l’éloigne des travaux pénibles et l’entraîne aux joyeuses assemblées ; mais si quelque ignorant la touche avec rudesse, elle ne murmure plus que des sons vagues et sourds. Oui, ce que tu désires savoir, c’est à toi de nous l’expliquer. Accepte-donc cette lyre, glorieux fils de Jupiter Apollon ; désormais ensemble sur les montagnes et dans les champs fertiles, nous ferons paître tes génisses sauvages ; là ces génisses, s’unissant aux taureaux, engendreront des femelles et des mâles en abondance ; mais ne t’abandonne donc ni à la ruse ni à la colère. »

En disant ces mots il présente la lyre à Phébus ; celui-ci la reçoit, donne en échange un fouet étincelant et charge Mercure du soin des génisses ; celui-ci s’en acquitte avec joie. Alors saisissant la lyre de la main gauche, le fils de Latone, Apollon qui lance au loin ses traits, la