Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/113

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pieusement des sacrifices et d’accomplir les dons sacrés. »

Il dit. La prudente Proserpine, pleine de joie, s’élance avec allégresse. Pluton alors s’approchant d’elle en secret lui fait manger un doux pépin de grenade, pour qu’elle ne puisse pas toujours rester auprès de sa vénérable mère, Cérès au voile d’azur. Puis ce dieu qui dompte toutes choses attelle ses coursiers immortels à son char étincelant d’or. Proserpine y monte ; Mercure prend en main le fouet et les rênes ; ils quittent le sombre royaume ; les chevaux volent avec joie, et les deux divinités franchissent promptement d’immenses espaces : ni la mer, ni les fleuves rapides, ni les vallées verdoyantes, ni les collines n’arrêtent l’essor impétueux des coursiers immortels ; plus élevés que les collines, ils fendent de leur course rapide l’immensité de l’air. Enfin le char s’arrête devant le temple qu’habitait la blonde Cérès. Elle, à la vue de sa fille, s’élance comme une ménade qui se précipite de la montagne dans la sombre forêt. Proserpine, sautant à bas du char, court, prompte comme l’oiseau, au-devant de sa mère, lui baise la tête, lui prend les mains. Cérès, en embrassant sa fille, sent de douces larmes mouiller ses joues, sa voix expire sur ses lèvres ; puis, après un court silence, elle interroge Proserpine et lui dit ces paroles :

« Chère enfant, n’as-tu goûté aucune nourriture auprès du roi des morts ? Parle, ne me cache rien, que je connaisse la vérité, car s’il en était ainsi, tu pourrais désormais toujours habiter près de moi, près de ton père, le redoutable Jupiter, et tu serais honorée par tous les dieux. Mais si tu as goûté quelque nourriture, alors retournant de nouveau dans le sein de la terre, tu consacreras le tiers de l’année à ton époux, et les deux autres tiers, tu les passeras auprès de moi et des dieux immortels. A l’époque où la terre enfante les fleurs odorantes et variées du printemps, tu reviendras des obscures ténèbres, au grand étonnement des dieux et des hommes. Mais dis-moi par quelle ruse le terrible Pluton t’a trompée.

— Mère, répondit Proserpine, je vais tout vous dire avec sincérité. Lorsque Mercure, messager rapide de Jupiter et des autres dieux, est venu me faire sortir de l’Érèbe et m’amener à vous pour calmer votre colère, je me suis élancée avec joie ; mais Pluton m’a donné en secret un pépin de grenade, délicieuse nourriture, et m’a forcée de le manger. Je vais vous dire maintenant comment le fils de Saturne m’enleva par la secrète volonté de mon père et m’emporta dans les abîmes de la terre ; je vais tout vous raconter comme vous le désirez. Nous étions plusieurs jeunes filles dans une riante prairie : Lanippe, Phéno, Mélite, Yanthe, Électre, Yaché, Rhodia, Calliroé, Mélobosis, Tyché, la belle Ocyroé, Chryséis, Janire, Acaste, Admote, Rhodèpe, Plouto, la tendre Calypso, Styx, Uranie, l’aimable Glaxaure, Pallas, vaillante dans les combats, et Diane, heureuse de ses flèches ; nous jouions ensemble, cueillant mille fleurs variées ; nous réunissions en bouquets le safran parfumé, l’iris, l’hyacinthe, les roses au calice odorant, le lys d’une éclatante blancheur et le narcisse semblable au safran que la terre féconde venait d’enfanter. Joyeuse, j’arrache cette plante superbe : à l’instant la terre s’entr’ouvre, le redoutable Pluton s’élance, et, malgré ma résistance, m’emporte au sein des ténèbres sur son char étincelant d’or. Dans ma fuite, je poussais des cris lamentables. O ma mère ! voilà tout. Quoique triste, je vous ai tout dit avec sincérité. »

Ainsi, durant tout le jour, les déesses se réjouirent au fond de leur cœur par de mutuelles caresses. Leur âme cessa de s’affliger. Elles échangèrent ensemble les témoignages de la plus douce joie. En ce moment près de ces divinités arrive Hécate au voile éclatant ; elle embrasse tendrement la chaste fille de Cérès. Dès lors elle fut toujours la compagne et l’amie de Proserpine. Jupiter, maître de la foudre, ordonne à Rhée d’amener Cérès au voile d’azur dans l’assemblée des immortels et de lui promettre les honneurs divins qu’elle désirait. Il permet que Proserpine passe un tiers de l’année dans les sombres demeures et le reste du temps auprès de sa mère et des autres dieux. Ainsi le veut Jupiter. La déesse se hâte d’accomplir son message : elle s’élance rapidement des hauteurs de l’Olympe et arrive à Rhadios, jadis campagne fertile, aujourd’hui frappée de stérilité, aride, dépouillée de feuillage. Par la volonté de Cérès, le froment reste enfoui sans fécondité : pourtant la déesse permettra plus tard que ces champs soient couverts de longs épis au retour du printemps, et que des moissons abondantes destinées à être réunies en gerbes jaunissent encore les guérets. La déesse, ayant franchi les plaines de l’air, s’arrête en ces lieux.