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drez au royaume de Saturne, dans ces îles fortunées (15) que les zéphirs de l’océan rafraîchissent de leur douce haleine : là des bosquets odorans ombragent le cours des ruisseaux et les prairies sont émaillées de mille fleurs d’or dont tressent des couronnes les habitans de ces demeures pour orner et leur sein et leur front.

Ainsi, dans sa justice, l’a voulu Rhadamanthe, qui siège à la droite de l’époux de Rhée, puissante déesse dont le trône domine celui des autres immortels.

C’est dans ces lieux qu’habitent et Cadmus et Pélée ; c’est là qu’admis par les prières de sa mère, habite aussi l’invincible Achille, dont le bras immola Hector, ce rempart inexpugnable de Troie, et terrassa Cycnus et l’Éthiopien fils de l’Aurore.

Combien mon carquois ne renferme-t-il pas encore de ces traits qui ne partent que de la main du génie et qui sont trop pesans pour le vulgaire !

Celui-là seul est vraiment sage que la nature a instruit par ses (16) leçons ; ceux qu’une étude pénible a formés se perdent en de vaines paroles, semblables aux corbeaux (17) qui, de leurs bruyantes clameurs, ne sauraient intimider l’oiseau sacré de Jupiter.

Mais, ô ma Muse, ranime tes efforts ! tends de nouveau ton arc vers le but. Et quel but proposer à tes traits victorieux ? Dirige-les vers Agrigente…

Que les accens de la vérité sortent de ma bouche, et qu’ils soient confirmés par un serment solennel ! Jamais, depuis cent ans, aucune cité n’a vu naître un mortel d’un cœur plus généreux, un roi plus libéral que Théron.

En vain l’envie voudrait ternir sa gloire, en vain l’injustice anime contre lui ceux qu’il a (18) comblés de ses faveurs : elles ne parviendront jamais à voiler aux hommes vertueux l’éclat de tant de belles actions. Qui pourrait en effet compter ses bienfaits ? Leur nombre surpasse (19) celui des sables de la mer.

III.

À THÉRON (1).

Puissent les (2) fils de Tyndare, protecteurs de l’hospitalité, puisse la belle Hélène se montrer aujourd’hui propices à mes chants ! Je célèbre Agrigente et l’illustre Théron, qui fait voler avec tant de succès dans la carrière olympique ses coursiers aux pieds légers et infatigables.

Ma Muse m’inspire des chants extraordinaires, et me presse de marier tour à tour aux accords variés du mode dorien les accens de ma voix qui fait l’ornement des festins. Déjà le front du vainqueur ceint de l’olivier triomphal m’invite à m’acquitter d’une dette sacrée, à unir les sons de ma lyre aux modulations de la flûte pour célébrer dans mes hymnes le glorieux fils d’Œnésidame. Tu m’ordonnes aussi de chanter, ô Pise ! source divine où les mortels puisent toujours la plus sublime louange.

Suivant l’antique usage établi par Hercule, un citoyen d’Étolie (3), juge intègre de nos combats, orne le front de l’athlète victorieux d’une couronne d’olivier verdoyant. Le fils d’Amphitryon apporta (4) jadis cet arbre des sources ombragées de (5) l’Ister : la douce persuasion le lui ayant fait obtenir des peuples hyperboréens, fidèles adorateurs (6) d’Apollon, il voulut que ses rameaux fussent la récompense glorieuse de nos triomphes.

Il méditait encore dans son cœur un beau dessein : celui de consacrer à Jupiter un bois capable de recevoir tous les enfans de la Grèce, et de donner par son feuillage de l’ombre aux spectateurs et des couronnes à l’athlète victorieux. Déjà le héros avait élevé dans ces lieux un autel à son père, alors que Phébé sur son char d’argent montrait en entier son disque lumineux ; déjà il y avait placé le tribunal des juges incorruptibles du combat, et arrêté que, tous les cinq ans, on célébrerait ces grands jeux sur les bords de l’Alphée. Mais ces beaux arbres, dont l’aspect délicieux charme aujourd’hui nos regards, n’embellissaient point encore le (7) Cronium et la vallée de Pélops : ce lieu n’avait ni ombre ni verdure ; il était exposé de toutes parts aux rayons d’un soleil ardent.