Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/241

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donné la fortune, recevra dans l’avenir le sceau de l’immortalité.

O ma douce lyre, fais entendre tes accords lydiens, et que ta douce harmonie rende cet hymne agréable à OEnone et à Cypre, où régna Teucer fils de Télamon. Que de rois à vus naître OEnone ! Ajax régna à Salamine, sa patrie ; Achille, dans cette île dont l’éclat se répand au loin sur le Pont-Euxin ; Thétis, domina à Phtie, et Néoptolème fut souverain de la vaste et fertile Épire dont les monts sourcilleux s’étendent depuis la forêt de Dodone jusqu’à la mer d’Ionie. Pélée jadis la rendit tributaire des Emmoniens, lorsqu’il eut pris à main armée Iolcos, situé au pied du mont Pélion.

Après avoir été en butte aux ruses perfides d’Hippolyte, épouse d’Acaste, ce héros eut encore à éviter les embûches que le fils de Pélias lui tendit avec une astuce digne de Dédale. Mais Chiron vint à son secours et l’arracha au cruel destin que lui réservait Jupiter. Cependant avant qu’il lui fût permis d’épouser une des Néréides aux trônes élevés, Pélée dut encore lutter contre la violence des feux dévorans, braver les griffes et les dents acérées des lions ; alors seulement au jour de son hymen, il vit s’asseoir à sa table les dieux du ciel et de la mer, qui le comblèrent de leurs dons et lui donnèrent cette puissance qu’il devait transmettre à sa postérité.

Mais il n’est pas donné à un mortel de franchir les colonnes d’Hercule où le soleil termine sa carrière. Tourne, ô ma Muse ! la proue de la nef vers l’Europe : tu ne peux dans un seul récit redire tous les hauts faits des enfans d’Éaque. N’est-ce pas déjà assez pour toi de proclamer les victoires des Théandrides, et ces luttes fameuses d’où ils sortirent vainqueurs à Olympie, à l’Isthme, et à Némée. Ces lieux à jamais célèbres ont été les témoins de leur valeur et les ont vus retourner dans leur patrie, le front ceint de couronnes dont la gloire ne peut être ternie.

Qui mieux que moi sait, ô Timasarque ! combien de sujets sublimes ta patrie offrit en tout temps à nos hymnes triomphaux. Docile à tes désirs, je veux élever à Calliclès, ton oncle maternel, une colonne qui surpasserait en éclat le marbre de Paros. De même que le feu purifie l’or et lui donne un nouveau lustre, de même les hymnes des favoris des Muses répandent sur l’athlèle vainqueur une gloire qui le rend égal aux rois. Puisse Calliclès, sur les bords de l’Achéron, m’entendre célébrer la couronne d’ache vert, qu’il ceignit à Corinthe, dans ces jeux consacrés au dieu dont le trident ébranle la terre... Mais plutôt qu’Euphanès, ton aïeul, chante ses louanges, ô mon fils ! n’est-il pas juste que chacun honore ses contemporains ? Il les chantera avec joie ; car quel est le mortel qui ne se flatte pas de raconter avec plus de vérité les faits dont il a été témoin.

Qui de nous par exemple en louant Mélésias s’exposerait à la critique ou au blâme ? Son éloquence impétueuse entraîne tous les cœurs ; et, s’il est bienveillant pour les bons, il est aussi le plus redoutable adversaire des méchans.

V.

A PITHÉAS, FILS DE LAMPON,

Vainqueur au pancrace.

Je ne suis point statuaire ; ma main ne sait point façonner des simulacres inanimés pour les fixer sur une base immobile. Non, mes chants pénètrent en tous lieux. Vole donc, ô ma Muse ! Pars d’Égine sur une barque légère, et publie au loin que Pithéas, le vaillant fils de Lampon vient de ceindre à Némée la couronne du pancrace.

Semblables à la vigne dont la fleur présage les doux fruits de l’automne, ses joues laissent à peine apercevoir un tendre duvet, que déjà sa victoire honore les Éacides, héroïques enfans de Saturne, de Jupiter et des blondes filles de Nérée, et cette opulente cité que fondèrent leurs mains et qui est devenue si fameuse par ses héros et ses flottes nombreuses. Debout autour de l’autel de Jupiter Hellénien les fils illustres de la nymphe Endéis levaient au ciel leurs mains suppliantes, et, avec eux, le puissant roi Phocus, que sur le rivage des mers, Pramathée avait mis au monde...

Comment oserais-je dévoiler ici l’attentat que Télamon et Pélée commirent contre toute justice ? Non je ne sonderai pas la profondeur de ce mystère, je ne révélerai point la cause pour laquelle ces héros abandonnèrent leur patrie ou quel dieu vengeur les en exila. Il est des faits la vérité ne doit pas montrer sa face à découvert, et le silence fut toujours chez les mortels le fruit de la plus haute sagesse.