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Que parmi les mortels, il n’est pas de bonheur comparable à celui dont ils jouissent. Héros dont la main terrassa les géans, si un dieu accorde à Sogène l’honneur d’habiter près de toi, comme auprès d’un père, et de suivre sous ta puissante protection la route que lui ont frayée ses divins ancêtres, que manque-t-il à sa félicité ? Le lieu où il a fixé sa demeure, situé au milieu de tes bois sacrés, n’est-il pas aussi proche de ton sanctuaire que le timon d’un char l’est à droite et à gauche des quatre coursiers qu’il dirige.

C’est donc à toi, divin Hercule, de fléchir en faveur de Sogène, Junon, son auguste époux et la déesse aux yeux d’azur. Tu peux, par ta puissance, mettre les malheureux mortels à l’abri des coups qui les plongent souvent dans l’abîme du désespoir. Accorde donc à mon héros une force durable, compagne d’une longue vie ; que son heureuse jeunesse soit suivie d’une vieillesse aussi heureuse ; que les fils de ses fils jouissent des honneurs qui l’environnent aujourd’hui et en méritent, s’il se peut, de plus glorieux encore.

Pour moi, jamais mon cœur ne me reprochera d’avoir outragé la mémoire de Néoptolème par d’injurieux discours. Mais répéter trois ou quatre fois la même apologie, n’est-ce pas faire preuve de stérilité, comme celui qui, faisant des contes aux enfans, répétait sans cesse : « Ô Jupiter Corinthien ! »

VIII.

À DINIAS, FILS DE MÉGAS,

Vainqueur à la course du stade.

Beauté enchanteresse, qui appelles à la suite les amours immortels enfans de Vénus, ô toi qui brilles sur le front des vierges et dans les yeux des jeunes hommes ! tes attraits inévitables allument dans les cœurs mortels des feux, source de bonheur pour les uns, pour les autres des maux les plus cruels. En amour, comme en toutes choses, il faut saisir l’occasion et n’obéir qu’à des penchans honorables et légitimes. Tels furent ceux qui, sur la couche d’Égine, firent goûter à Jupiter les douces faveurs de Cypris et rendirent Œnone mère d’un roi si renommé par sa sagesse et sa valeur. De toutes parts accoururent vers lui, briguant l’honneur de le voir, la fleur des héros de la Grèce, et ces guerriers qui commandaient dans la pierreuse Athènes et les enfans de Pélops qui régnaient dans Sparte, tous, vaincus sans combat et admirateurs de ses vertus, venaient avec empressement se soumettre à ses lois.

Et moi aussi, divin Éaque, j’embrasse aujourd’hui tes genoux et je t’adresse mes vœux les plus ardens pour ta chère Égine et pour ses habitans. Ma lyre habile à varier la mélodie des accords lydiens, élève en ce jour un trophée en l’honneur du triomphe que, dans les jeux de Némée, viennent de mériter Dinius et son père Mégas à la double course du stade. De tous les biens, les plus durables sont ceux qu’une main divine verse ainsi sur les mortels : tel fut jadis le bonheur de Cyniras que la maritime Cypre vit comblé de tant de prospérités.....

Arrêtons un instant ma course impétueuse ; Cyniras avant nous a été célébré tant de fois. Respirons donc ici avant que d’entonner d’autres chants. Il est si dangereux d’exposer à la critique des hommes les récits de la nouveauté et d’éveiller la noire envie : ce monstre fait sa pâture de nos discours ; il s’attache aux œuvres du génie sans jamais sévir contre la faiblesse et l’ignorance.

C’est lui qui perdit le fils de Télamon, et le porta à tourner contre sa poitrine sa propre épée. Guerrier intrépide, mais peu versé dans l’art de la parole, il vit ses droits méconnus et oubliés des Grecs dans une querelle funeste, tandis que l’astucieux qui savait si bien colorer le mensonge fut honoré du prix de la valeur. Les généraux des Grecs donnèrent en secret leurs suffrages à Ulysse, et l’invincible Ajax, ainsi privé des armes glorieuses d’Achille, se précipita dans les horreurs du trépas.

Cependant quelle différence entre les coups que l’un et l’autre avaient portés aux ennemis, entre leur audace à repousser les bataillons troyens avec la lance meurtrière, soit dans ce combat qui s’engagea sur le corps d’Achille expirant, soit dans ces jours de carnage où tant de guerriers trouvèrent la mort au milieu des fureurs de Mars !

Elle n’était donc pas inconnue autrefois aux mortels cette odieuse éloquence qui, sous les couleurs d’un langage séduisant, sait voiler la perfidie et le mensonge, qui toujours déversa l’opprobre sur le mérite et jeta un éclat trompeur sur l’obscurité et l’infamie. Ah ! loin de moi d’aussi coupables artifices. Fais, ô Jupiter !