Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/428

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armes étincellent aux rayons du soleil, de longs sillons blanchissants, semblables aux sentiers qu’on distingue à travers un champ couvert de verdure, marquent la trace du navire. Tous les dieux, attentifs à ce spectacle, voient avec complaisance du haut de l’Olympe voguer sur les flots les plus vaillants des Héros issus de leur sang. Les Nymphes du Pélion, rassemblées sur leurs sommets, admirent à la fois l’ouvrage de la déesse d’Itone [1] et les héros dont les efforts font voler le vaisseau sur les ondes.

Souhaits du centaure Chiron

Le fils de Philyre, Chiron lui-même, descendant du haut de la montagne, s’avance sur le rivage en leur faisant signe de la main et leur souhaitant un heureux retour. Près de lui son épouse Chariclo, portant dans ses bras le jeune Achille, le prèsente tendrement à son père Pélée [2].

Lorsque par la prudence et l’adresse de Tiphys, qui dirigeait leur course en levant le gouvernail, ils furent sortis du port, alors ils dressèrent le mât, le fixèrent avec des câbles, déployèrent la voile et l’attachèrent par des cordages aux deux côtés du vaisseau. Elle fut aussitôt enflée par un vent frais qui, laissant reposer le bras des Argonautes, les porta bientôt au-delà du promontoire Tisée.

Orphée chante en s’accompagnant de sa lyre

Orphée célébrait alors sur sa lyre l’illustre fille de Jupiter, Diane, protectrice des vaisseaux, qui se plaît à parcourir ces rivages, et veille sur la contrée d’Iolcos. Attirés par la douceur de ses chants, les monstres marins et les poissons mêmes, sortant de leur retraite, s’élançaient tous ensemble à la surface de l’onde et suivaient en bondissant le vaisseau, comme on voit dans les campagnes des milliers de brebis revenir du pâturage en suivant les pas du berger qui joue sur son chalumeau un air champêtre.

On aborde à l’île de Lemnos

Déjà la terre fertile des Pélasges se dérobe aux regards des navigateurs. Ils laissent derrière eux les rochers du Pélion. Le promontoire Sépias disparaît. On découvre l’île de Sciathus, plus loin la ville de Pirésies, le rivage tranquille de Magnésie et le tombeau de Dolops où, sur la fin du jour, le vent contraire les obligea de relâcher. A l’entrée de la nuit, ils honorèrent la mémoire du héros par un sacrifice. Les vagues étaient courroucées, et la tempête dura deux jours. Le troisième, ayant déployé la voile, ils quittèrent ce rivage, dont le nom rappelle encore le séjour qu’ils y firent [3]. Mélibée, toujours battue par les vents, Omolé, située sur le bord de la mer, l’embouchure de l’Amyrus, Eurymènes, les vallées humides de l’Ossa et de l’Olympe se prèsentèrent successivement à eux. Les côtes de Pallène et le promontoire Canastrée furent parcourus à la faveur du vent qui souffla pendant la nuit. Le matin on découvrit le mont Athos. Il est éloigné de Lemnos du chemin que peut faire un vaisseau léger depuis le matin jusqu’à midi ; cependant l’ombre du sommet couvre une partie de l’île et s’étend jusqu’à la ville de Miryne. Le vent, qui s’était soutenu pendant tout le jour et la nuit suivante, cessa de souffler au lever du soleil. On gagna à force de rames l’île de Lemnos, séjour des antiques Sintiens [4].

Tous les hommes y avaient péri misérablement l’année précédente, victimes de la fureur des femmes. Depuis longtemps elles ne prèsentaient à Vénus aucune offrande. La déesse irritée les rendit odieuses à leurs maris qui, les ayant abandonnées, cherchèrent de nouveaux plaisirs dans les bras des esclaves qu’ils enlevaient en ravageant la Thrace. Mais à quels attentats ne se porte pas la jalousie ? Les Lemniennes égorgèrent, dans une même nuit, leurs maris et leurs rivales, et exterminèrent jusqu’au dernier des mâles, afin qu’il n’en restât aucun qui pût un jour leur faire porter la peine de leur forfait. Hypsipyle seule, fille du roi Thoas, épargna le sang de son père, déjà avancé en âge. Elle l’enferma dans un coffre et l’abandonna ainsi au gré des flots, espérant qu’un heureux hasard pourrait lui sauver la vie. Des pêcheurs l’ayant en effet aperçu, le retirèrent dans l’île d’OEnoé, appelée depuis Sicinus [5], du nom d’un fils que Thoas eut de la nymphe OEnoé, l’une des Naïades.

Les Lemniennes, devenues les seules habitantes de l’île, quittèrent les ouvrages de Minerve, qui seuls jusqu’alors avaient occupé leurs mains, et s’accoutumèrent sans peine à manier les armes, à garder les troupeaux et à labourer

  1. Minerve, ainsi appelée d'une ville de Thessalie suivant le scholiaste.
  2. Parvumque patri tendebat Julum. Virg., Aen., II, 674. Achille, encore dans l'enfance, était élevé près du centaure Chiron lorsque Pélée son père s'embarqua pour la conquête da la Toison d'or.
  3. Il s'appelait Aphétes, qui signifie les barrières d'où l'on commençait à courir dans les jeux publics, et indiquait que le vaisseau s'était remis en mer dans cet endroit.
  4. Nom des premiers habitants de Lemnos.
  5. Une des Cyclades.