Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/430

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Le héros se revêtit d’un ample manteau, ouvrage de Pallas, qui le lui avait donné lorsqu’elle travaillait elle-même au vaisseau et montrait à Argus à en régler les dimensions. Son éclat surpassait celui du soleil ; le fond était rouge, et sur les bords, couleur de pourpre, étaient représentés avec un art infini, différens sujets. On y voyait les Cyclopes sans cesse occupés des mêmes travaux, fabriquant un foudre à Jupiter, dont l’éclat éblouissait les yeux. Il n’y manquait plus qu’un rayon qui déjà s’étendait sous les coups redoublés des marteaux[1], au milieu d’un tourbillon de flammes. On y voyait aussi les deux fils d’Antiope, Amphion et Zéthus. Près d’eux s’élevait une ville qui n’était pas encore couronnée de tours, c’était Thèbes dont ils venaient de jeter les fondemens. Zéthus portait sur ses épaules un rocher semblable au sommet d’une haute montagne et marchait avec peine, courbé sous ce fardeau. Près de lui Amphion, faisant résonner sous ses doigts sa lyre dorée, se faisait suivre par une pierre deux fois plus grande.

Vénus y était reprèsentée la main appuyée sur le bouclier du dieu Mars ; sa tunique détachée tombait d’un coté sur son bras et laissait voir à découvert une partie de son sein, image que répétait encore l’airain poli du bouclier.

Plus loin on aperçoit de gras pâturages au milieu desquels les fils d’Électryon[2] tâchent de repousser les Téléboens sortis de Thaphos[3] pour enlever leurs troupeaux. Une égale fureur anime les combattans ; l’herbe est teinte du sang qui se mêle avec la rosée, mais enfin le grand nombre l’emporte et les brigands sont vainqueurs.

Près de là deux chars se disputaient le prix de la course. Pélops, accompagné d’Hippodamée son amante, fait voler le premier sur l’arène et secoue avec ardeur les rênes de ses chevaux. Le second est conduit par Myrtile. Près de lui, son maître, Œnomaüs, poussant en avant sa lance pour percer son vainqueur, tombe lui-même sur les débris de son essieu brisé.

On voyait ensuite Apollon dans un âge encore tendre, perçant d’une flèche le téméraire qui voulait entraîner sa mère en la tirant par son voile. C’est Tityus, fils de Jupiter et d’Élaré, nourri depuis et enfanté de nouveau par la terre[4].

Enfin, on avait reprèsenté sur ce manteau, Phrixus prêtant l’oreille au bélier qui semble lui adresser la parole. En les voyant, on est saisi d’étonnement. On croit qu’ils vont parler, et dans cette attente, on ne se lasse point de les considérer.

Tel était le présent que Jason avait reçu de Minerve. Il prit ensuite un long javelot, gage d’hospitalité qu’Atalante lui avait donné sur le mont Ménale. Cette jeune héroïne voulait alors marcher elle-même à la conquête de la Toison d’or, mais Jason l’en détourna, craignant que sa beauté ne charmât les Argonautes et n’excitât parmi eux la discorde.

Dans cet équipage, Jason s’avançait vers la ville, semblable à un astre brillant que de jeunes filles voient s’élever sur leur demeure et répandre dans l’air ses feux éclatans, qui charment leurs regards. Tourmentée de l’absence d’un amant auquel elle doit être bientôt unie, sa tendre amante en conçoit un heureux prèsage et croit que ce jour va lui ramener enfin l’objet de ses désirs. Les Lemniennes, transportées d’une joie pareille en voyant entrer dans la ville leur nouvel hôte, se précipitent en foule sur les pas du héros qui marchait gravement et les yeux baissés, vers le palais d’Hypsipyle. À sa vue les portes s’ouvrirent. Iphinoé le conduisit à travers un superbe portique dans l’appartement de sa maîtresse et le fit asseoir devant elle sur un siége richement orné. La jeune reine baissa les yeux et rougit d’abord à la vue du Héros : « Étranger, lui dit-elle ensuite, pourquoi vous tenir si longtemps éloigné de nos murs ? Cette ville n’est point habitée par des hommes. Ils l’ont quittée pour aller cultiver les campagnes fertiles de la Thrace, et pour que vous sachiez la cause de cet événement, je vais vous raconter fidèlement tous nos malheurs. Tandis que Thoas mon père régnait sur nos citoyens, ils s’embarquèrent plus d’une fois pour aller ravager la partie de la Thrace la plus voisine de cette île. Ils en revenaient toujours chargés de butin et ramenant avec eux toutes les jeunes filles qu’ils pou-

  1. Ferrum exercebant vasto Cyclopes in antro.
    Illis informatum manibus jam parte polita
    Fulmen erat ; toto genitor quæ plurima cœlo
    Dejicit in terras : pars imperfecta manebat.

    Virg., Æn., VIII, 424.
  2. Roi d'Argos.
  3. Une des îles Échinades, dont les habitans appelés Téléboens, étaient fort adonnés à la piraterie.
  4. Terræ omnipotentis alumnum.

    Virg., Æn., VI, 295.