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INTRODUCTION.

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La poésie humaine, dans les temps anciens, a surtout été représentée par deux peuples, le peuple hébreu et le peuple grec. Ils se sont partagé les élémens de toute inspiration : à l’un, la nature extérieure et ses charmes infinis, les harmonies du monde et ses plus suaves mystères exprimés, comme ils étaient sentis, avec une expression enthousiaste et habile à personnifier ; à l’autre, les symboles de la divinité, l’héritage des traditions primitives accepté et conservé avec la fidélité la plus religieuse, l’explication intelligente des imperfections de l’âme et de sa faiblesse native. Ainsi les deux faces de la pensée sont représentées par ces deux peuples ; leurs livres résument pour nous toute l’antiquité : ils nous offrent des chefs-d’œuvre et des modèles ; ils lient, par une chaîne non interrompue et dont Rome a été le dernier anneau, le développement des temps primitifs au développement des temps présens ; ils reproduisent et expliquent les influences du climat, de la civilisation, des idées ; ils réfléchissent dans leur caractère ces dissemblances si marquées. Le génie de chacun de ces peuples, de sa langue, de ses habitudes, de son origine se retrouve dans sa physionomie générale : chez l’un comme chez l’autre, la supériorité est réelle ; l’empire étant partagé, chacun est resté maître chez soi, sans égal ; en sorte qu’en réunissant ces deux poésies, on formerait une magnifique unité du cœur et de l’intelligence humaine : ce serait une belle médaille antique portant une double empreinte, l’exergue du monde et le sceau de Dieu.

Les monumens de la littérature indienne ont bien la prétention d’une gloire plus ancienne et plus complète, mais nous les connaissons à peine ; les érudits en ont fait leur conquête : ces livres sacrés ne sont pas répandus, le cercle de leur publicité et de leurs admirateurs est restreint. Ils appartiennent à une civilisation aussi avancée dans les intérêts matériels que dans les manifestations de l’intelligence : cette civilisation, nous l’ignorons encore, nous n’en arrachons qu’avec peine quelques lambeaux au passé. Nous ne suivons pas de l’œil tous les membres de ce grand corps que formait la société indienne : une portion est dans l’ombre. Le temps, l’éloignement et surtout l’étrange personnalité qu’on aperçoit dans cette civilisation nous la rendent difficile à comprendre. Elle se prétend primitive : il nous faut pour l’apprécier la retrouver complète ; nous ne pouvons arriver à la connaître par analogie ou par comparaison : le sanctuaire de la sagesse des brahmines est impénétrable aux yeux des modernes ; tous les secrets d’une civilisation y sont cachés. L’Allemagne, l’Angleterre et la France se sont mises à l’œuvre ; mais nous attendons encore une intelligence assez hardie pour déchirer le voile et nous guider dans cette initiation mystique que nous implorons en vain.

Laissons donc de côté ces livres que nous ne connaissons que par quelques traductions imparfaites. L’œuvre de l’esthétique ne vient qu’après l’œuvre de la science, et l’œuvre de la science n’est pas encore terminée. Comparons seulement, dans une appréciation sérieuse, la poésie hébraïque et la poésie grecque, car nous ne connaîtrons bien l’une que par l’autre. Nous nous servirons de celle-ci pour éclairer les défectuosités de celle-là, et nous voulons que notre appréciation porte un caractère net et formulé.

Chaque peuple a une qualité dominante, sa littérature la reproduit ; elle s’empreint dans ce moule de la manière la plus parfaite ; elle la représente toujours avec une scrupuleuse fidélité : du jour où elle ne la représente plus, elle meurt. C’est une loi